Appel au S.T.O. |
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Direction Mathausen. |
Evacuation. | Libération. |
La fin de mon séjour arrive. Un matin, des camions viennent nous chercher. On est embarqués en
direction de la gare des Bénédictins. Je revois pour la première fois Rouyre, dit "Tonton Pierre",
notre agent de liaison, et René Couche. La Gestapo n'a jamais su que nous étions ensemble. A mon
retour, j'apprendrai que Rouyre a été fusillé.
Nous embarquons dans des trains de voyageurs. Un certain nombre d'entre nous sont attachés, et
nous sommes encadrés par des civils armés. Ce sont des Nord-africains, de la Phalange africaine.
Devant notre étonnement de les voir nous garder, ils nous expliquent qu'ils ont été réquisitionnés
pour nous accompagner et nous garder. Ils nous mettent en garde contre toute tentative d'évasion.
Le train s'ébranle, et vers le soir, nous arrivons en gare de Compiègne. Nous sommes conduits
au camp par les S.S.
De premier abord, Compiègne semble un paradis. On circule entre les baraques, on jouit à l'intérieur
du camp d'une certaine liberté, mais il faut respecter le règlement. Nous nous en sommes aperçu
le premier soir. Compiègne est entouré de miradors sur lesquels se trouvent des soldats armés
de mitrailleuses et de projecteurs.
A la tombée de la nuit, un jeune homme est sorti de la baraque où il avait été affecté afin de
rejoindre son père, enfermé dans un autre. Il se fait prendre dans le faisceau d'un projecteur,
et est abattu d'une balle dans la tête par un gardien S.S.
Notre temps à Compiègne se passe en promenades, en discussions, en appels (matin et soir). Certains
d'entre nous font du sport ou encore participent à des offices religieux. Il y a une chose importante
à noter, c'est que nous ne sommes plus interrogés. On joue aux cartes, etc...
Un après-midi, l'appel est fait plus tôt que d'habitude. 1500 noms sont appelés, un convoi pour
l'Allemagne est programmé. J'en fait partie.
On nous conduit dans une annexe du camp, où nous touchons chacun un colis de la Croix Rouge, dans
lequel nous trouvons du miel et du pain d'épice. Quel régal! Nous passons ensuite la nuit couchés
sur le pavé des écuries, et nous essayons d'envisager ce qui nous attend. Les bruits les plus
fous circulent. Nous allons, en fonction de notre condamnation, être affectés soit à des travaux
forcés, soit en tant que travailleurs libres, soit en forteresses, et bien d'autres solutions.
Parmi nous se trouvait un Bordelais, Pierre Jarnolle, que je retrouverai lors de mon futur parcours
et jusqu'à ma libération. Mais il y a aussi le révérend Riquet, qui distribue à chacun d'entre
nous une médaille de la Vierge.
Nous passons la nuit à nous rappeler certains souvenirs, et à raconter quelques histoires. Le
matin de bonne heure, nous sommes acheminés vers la gare. Nous traversons Compiègne encadrés
par les chiens de nos gardiens. Une partie de la population se trouve sur notre chemin et jette
par-dessus les soldats du tabac, des friandises, de la nourriture. Les S.S. les éloignent.
Nous arrivons à la gare où se trouve un train de marchandises. Les portes sont ouvertes. Derrière
chaque wagon, une guérite, dans laquelle se trouve un soldat. Dans la partie avant et arrière
du train, des wagons plateaux sont installés avec des mitrailleuses.
On nous range le long du convoi, et on nous fait un discours nous précisant qu'à la moindre évasion,
les évadés seront abattus et qu'il sera tiré dans les wagons. L'ordre est ensuite donné de monter.
Il y a quelques refus. Les chiens et les matraques rentrent en jeu, et malgré le nombre, nous
sommes enfermés dans les wagons.
La porte étant bloquée, nous nous retrouvons face à notre impuissance. Quelques minutes après
notre enfermement, une fumée commence à envahir notre prison ambulante. En réalité, ce n'est pas
de la fumée. C'est de la vapeur qui se dégage des 120 corps qui sont enfermés dans les wagons.
Elle ne s'évacuera qu'après le départ du train.
Le convoi roule doucement, s'arrête souvent, car il y a des transports prioritaires et des alertes.
La vie dans le wagon s'organise. Nous manquons d'air. Heureusement, une certaine discipline règne,
et nous réussissons à établir un tour de rôle afin qu'à chacun notre tour, nous allions respirer
aux hublots qui sont de chaque côté. Au milieu se trouve un bidon de cinquante litres. Il doit
servir à nos besoins. Il est vite plein, et les cahots déversent une partie du contenu. Nous
décidons de ne plus nous en servir, et nous le vidons à travers les fentes du wagon.
A la tombée de la nuit, nous arrivons du côté de Maney. Les évasions commencent. On entend des
coups de feu. Le train s'immobilise. On s'attend au pire, puisqu'on nous l'a promis. Les portes
s'ouvrent: hurlements de nos gardiens. On nous fait descendre sur le ballast. On nous fait déshabiller,
et à coups de crosses et de morsures de chien, on remonte dans le train. Nus, on a davantage
de place, c'est tout du moins ce que l'on ressent. Le spectacle est fantastique. Tous ces corps
nus, plus ou moins enchevêtrés, couverts de coups et de morsures. C'est ahurissant.
Le voyage va durer trois jours et trois nuits, sans manger ni boire, car notre colis de la Croix
-Rouge nous a été repris avec nos vêtements. Le troisième jour, à la nuit, nous arrivons dans
une gare du nom de Mauthausen.
Les portes des wagons s'ouvrent, nous descendons sur le quai. On récupère quelques vêtements.
Je retrouve mon veston. Dans notre wagon, nous n'avons pas eu de morts. Ce n'est pas le cas pour
tout le train. Nous prenons un chemin escarpé qui doit nous mener vers notre lieu de destination.
Nous sommes toujours entourés de chiens qui mordent et de soldats qui cognent.
Au bout du chemin, dans la lueur des projecteurs, j'aperçois des murailles et des miradors. Compte
tenu des bruits qui circulaient à Compiègne, j'en déduis que je suis condamné à la forteresse".
Henri Pages entame une nouvelle épreuve, à savoir la survie dans le milieu concentrationnaire
nazi. Son récit, dés lors, prend une valeur particulière.
" Mauthausen est construit sur une colline. C'est un camp qui a été ouvert après l'annexion de
l'Autriche. Il a été bâti grâce aux pierres taillées dans une carrière tristement célèbre, et
dont il faut gravir les 186 marches, chargé d'une pierre d'un poids de l'ordre de 30 à 35 kilos
environ. Les républicains espagnols qui y ont été enfermés à partir de 1940 y ont laissé 75% des
leurs.
Nous pénétrons dans le camp en colonne par 5 et nous entrons sur la place d'appel. Nous contournons
les bâtiments placés à notre droite et nous arrêtons entre les bâtiments et le chemin de ronde.
Plusieurs miradors en moellons nous dominent. A l'intérieur de chacun, une mitrailleuse, un projecteur,
et bien entendu un S.S.
A nouveau, nous nous déshabillons. Un tri est fait. Les infirmes et les personnes âgées sont mis
de côté. Quant à nous, on nous fait descendre par un petit escalier au bas duquel se trouve un
prisonnier qui, d'un coup de crayon à encre, nous applique sur la poitrine un numéro qui correspond
à un autre détenu. Ce dernier, armé d'un rasoir ou d'une tondeuse, fait disparaître tous nos
poils et cheveux. On passe ensuite sous la douche. Pour la première fois depuis trois jours, nous
pouvons boire. On peut facilement ne pas manger, mais rester sans boire, c'est terrible.
Nous sommes restés plusieurs jours à Mauthausen. Dés le début, nous avons été immatriculés. Je
suis devenu l'Hâftling numéro 62.901. A partir de cet instant, je dois répondre à l'appel de
ce numéro, qui est prononcé en allemand. Si on ne comprend pas, les coups pleuvent.
Nous travaillons quelques jours dans la carrière. Nous remontons à longueur de journée des pierres
sur notre épaule, au travers des 186 marches. La soupe qu'au départ nous ne pouvions pas avaler
passait plus facilement.
Un jour, nous sommes rassemblés sur la place d'appel. Nous recevons notre habit rayé, et nous
sommes embarqués sur des camions neufs, italiens, de marque Lancia. Après quelques heures de
transport, nous arrivons dans un village qui s'appelle Melk. On nous conduit dans une caserne
et on nous installe dans un garage. Nous sommes environ 1000 arrivés en deux convois. Avec nous,
il y a quelques Espagnols, le reste étant composé de Français. Une partie de ce groupe est occupée
à l'installation du camp, l'autre apprend à marcher au pas avec des ordres donnés en allemand.
C'est la pagaille, et malgré les coups donnés par les kapos, les S.S. renoncent.
Quelques jours s'écoulent, le camp s'organise: installation des baraques, des cuisines et autres
équipements. Les kommandos de travail sont formés. Nous connaissons enfin les raisons de notre
venue à Melk. Nous devons construire une usine souterraine. Je suis dans un premier temps désigné
pour construire une voie ferrée qui doit permettre d'accéder au pied de la montagne où nous devons
creuser des galeries. Nous comptons nos premiers morts. Comme le crématoire n'est pas encore
construit, les cadavres sont envoyés par camions à Mauthausen.
Lors de la construction de cette ligne de chemin de fer, nous sommes survolés par des milliers
de forteresses volantes, et nous avons assisté à des combats aériens. les avions volaient en
formation à 4 ou 5000 mètres. Malgré la DCA et la chasse allemande, des centaines d'avions,
imperturbables, continuent leur mission. De temps en temps, à notre grande déception, un avion
est abattu, soit par la chasse, soit par la DCA. les autres continuent leur route. Quant à nous,
nous sommes cachés sous les wagons de ballast, car les tirs de la DCA retombent et les balles
de Messerschmitts sont quelques fois dirigées de haut en bas. Puis on retourne au travail sous
les coups de nos gardiens, furieux de voir nos mines hilares au passage de nos alliés.
En parallèle, d'autres kommandos s'occupent de l'installation de plates-formes à la sortie de
la gare de Melk, tout comme à la gare de Loosdorf, où nous descendons pour rejoindre les tunnels.
Lorsque nous attendrons nos wagons dans le vent, le froid, la neige, assis, se serrant les uns
contre les autres, nous verrons dans un premier temps passer le train de luxe Mitropa ( ce train
desservait cinq capitales: Paris, Vienne, Budapest, Belgrade et Bucarest) qui transportait des
officiers en uniforme rutilant, accompagnés de leurs épouses. Dans un deuxième temps, et sous
un soleil radieux ( dans nos cœurs ), les squelettes que nous étions devenus voient passer les
mêmes officiers en uniforme négligé, des soldats débrayés, hirsutes, et toute une population
apeurée. C'était notre revanche ".
Après une première période de stupeur et de découragement, la survie dans le camp s'est installée
comme une priorité qui, pour Henri Pagès et ses camarades d'infortune, n'est entretenue que par
l'espoir d'une libération prochaine. Il entre ainsi dans la phase ultime de sa déportation.
" la ligne de chemin de fer étant construite, je suis affecté en tant que mineur dans les galeries.
Ca durera jusqu'au mois de juillet. Ce mois-là, le camp sera bombardé, il y aura de nombreux
morts et blessés. Compte tenu des dégâts, il est fait appel à des spécialistes. Bien que ne l'étant
pas moi-même, avec un saint-cyrien du nom de Toumain, nous nous présentons, lui comme électricien,
moi comme serrurier. Nous occuperons ces postes jusqu'à l'évacuation du camp, fin mars 1945,
devant l'arrivée des Russes.
Pendant toute cette période, nous avons subi les coups, les injures, la faim, les poux, les punaises,
etc... Notre costume rayé ne nous protégeait pas du froid ou de la pluie, d'autant plus que nous
restions à l'appel des heures entières. Les choses se compliquaient lorsque les Allemands décidaient
de passer nos vêtements à la désinfection. Le processus était le suivant: en arrivant du travail,
on nous dirigeait sur la place d'appel. Là, nous sortions nos vêtements et les roulions en boule.
Puis on les installait dans une panière et direction la désinfection. L'été, c'était supportable,
mais l'hiver, sous la neige ou la pluie par -15 ou -20 degrés, cela devenait un calvaire. Plusieurs
copains en sont morts.
La moindre punition était terrible. Tout se réglait à coups de nerfs de bœufs ou tout simplement
par la pendaison. Un jour, pour avoir casser une ampoule, j'ai reçu sur les fesses 25 coups de
nerf de bœuf. Les fesses, dans ce cas là, sont en lambeaux, et se rappellent pendant un bon mois.
Pour le Noël de 1944, un certain nombre de déportés organisent une messe de la Nativité. Alors
que tous les prêtres ont été expédiés à Dachau, Jean Vamoux, curé de Saint-Junien, qui a fait
partie de notre convoi, n'y a pas été emmené. Aussi a t'il profité de cette négligence pour
organiser quelques messes. Il a même réussi, avec l'aide du curé de Melk, à obtenir des hosties
consacrées et, par la suite, avec le concours des cuisiniers qui ont dérobé de la farine aux
S.S., à en confectionner d'autres. Tout cela a été obtenu parce que, dans ce kommando, nous
étions, nous les Français, en plus grand nombre.