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Nous suivions les opérations
militaires; peu à peu, l'armée allemande se trouve cernée et, par contrecoup, nous nous trouvons
bientôt dans la ligne de feu. Nous essuyons les bombardements des Anglo-américains sur Oranienburg
et ma foi, sans avoir peur, nous serraient un peu les cœurs. Toutes les nuits, nous assistions à des
bombardements de la région de Berlin et cela faisait un joli feu d'artifice. Une fois, ils bombardèrent
toutes les usines autour du camp, mais nous en avons été quitte pour la peur. Le 10 Avril, la fonderie
Blinquer qui se trouve à 4 km du camp fut bombardée et ce fut terrible. Cela dura 3 h. Le camp, l'usine
furent complètement rasés. On compte 1.100 tués et je ne sais combien de blessés. Quelques jours après,
nous commencions à entendre les sirènes qui signalent l'approche des tanks russes qui faisaient quelques
pointes. Cela commençait à sentir bon et vers le 20 Avril, nous eûmes à subir un bombardement par
l'artillerie russe qui bombarda Oranienburg, la gare de marchandises et tout le tour du camp.
Cela dura 8 jours et inutile de dire que malgré tout, nous avions le cœur serré. Ce fut merveilleux
de précision. Les obus tombaient pourtant pas loin de nous. On voyait des explosions mais aucun obus
n'est tombé dans le camp. Ensuite, ce fut la guerre des rues, nous entendions les rafales des mitrailleuses,
des petits canons portatifs qui servent à taper de plein fouet sur l'objectif.
Peu à peu, les SS cédèrent le terrain aux vaillants soldats de l'Année Rouge qui le 28 Avril à 4h.30
du soir rentrèrent dans notre camp. Une seule ombre au tableau: pendant la bagarre des grenades allemandes
furent lancées dans le camp et il y eut quelques blessés. J'ai omis de dire que pendant le bombardement
de Clinique, il tomba quelques bombes incendiaires sur le camp ce qui fit quelques blessés,
mais à part ça. tout se passa bien. Revenons encore en arrière.
Tous ceux qui pouvaient marcher furent évacués dans la nuit du 20 au 21 Avril, il ne resta que le ravier.
Beaucoup de docteurs, infirmiers et même quelques malades partirent avec le convoi direction inconnue.
Quand à nous, nous fumes abandonnés à notre sort et avons eu une chance inouï car les SS n' eurent
pas le temps, sans cela nous devions tous passer au crématorium; cela n ' aurait pas laissé de trace.
Enfin ce n'était pas notre jour et maintenant nous attendons avec impatience qu'une décision soit
prise pour notre libération.
Nous sommes installés au Ravier, les camarades qui peuvent marcher vont se promener aux environs
d'Oranienburg ou Sachsenhausen. Moi, malheureusement, je suis obligé de garder le lit et cela fait
11 mois que je suis couché et, hélas, je ne vois pas encore le jour où je pourrai me lever. Enfin,
j'ai eu toujours un très bon moral qui m'a permis de passer toutes les situations critiques que nous
avons traversées. C'est que je veux revoir ma famille et rien que cette idée me soutenait. Aujourd'hui,
Dimanche de la Pentecôte, je vais sortir dans le jardin, s'il fait beau évidemment, sur un brancard,
mais c'est déjà un petit pas vers la guérison. Ce sera ma première sortie. Nous avons pu écrire à nos
familles; inutile de dire si cela faisait plaisir. Il y avait un an que nous n'avions pas donné de nos
nouvelles et j'espère recevoir une réponse avant longtemps qui me tranquillise sur le sort de ma
famille.
On vient de m'apprendre à l'instant que le convoi qui avait quitté Sachsenhausen le 20 Avril courant
a couvert 160 km à pied et dans les 30 premiers kilomètres les SS tuèrent 913 personnes, femmes, enfants
ou hommes qui étaient, soit fatigués, soit malades. Ce sont des crimes qui ne se pardonnent pas. Le
dernier convoi qui est parti du camp la nuit a sûrement été décimé. La radio annonce 10.000 tués par
les SS, et ce convoi comportait beaucoup de Belges, Français et Hollandais. Je ne crois pas que l'on
puisse leur faire payer assez cher et quand je pense qu'il y a encore des français qui n'hésitent pas
à s'afficher avec des femmes allemandes, qui se plaignent par dessus le marché, cela dépasse l'entendement.
Heureusement qu'ils ne sont pas très nombreux.
Nous avions ici, au Ravier, des femmes allemandes qui sont employées pour tous les divers services.
Il y en a une qui nous a dit que nous n'étions pas malheureux et que les SS étaient très bien pour
nous. Je crois que si un homme nous avait dit la même chose, nous l'aurions descendu. D'autres femmes
et leurs filles nous narguent par dessus le marché. Si ça dure longtemps, il va y avoir des coups
durs. Mais heureusement que les boches mangent leur pain blanc le premier et qu'ils ne vont pas tarder
à comprendre ce que c'est de faire du mal aux autres. C'est tout ce que je leur souhaite, car vraiment
je n'étais pas méchant, mais après tout ce qu'ils on fait, on ne peut pas leur pardonner. Ce serait
un crime. Il ne faut pas que cela recommence dans quelques années car ce serait le tour de nos enfants
à vivre les heures d'horreur que nous venons de passer.
Tout ce qui était T.B.C. ou jugé incurable était passé à la chambre à gaz et ensuite mené au crématorium
et à Auschwitz un camp vers la frontière polonaise, des convois entiers étaient passés à la chambre
à gaz et brûlés ou bien ils faisaient creuser des tranchées dans lesquelles étaient jeté des centaines
d'hommes, femmes et enfants, soit mort, soit à l'agonie, soit vivant, de la chaux vive, des fagots
et ensuite ils mettaient le feu. Les juifs ont disparu par centaines de milles. Cela est effrayant
et ces gens parlaient de civilisation. Personne de nous ne savait si sa patrie avait gagné la guerre.
Je viens de lire dans un journal que les SS ayant fait prisonnier des officiers russes, ils leur mirent
les menottes et les mains attachées derrière le dos ils les mirent directement au four crématoire.
Ils ont été brûlés vivants. Dans notre camp, tous les T.B.C. devaient partir en transport, firent le
tour du camp, et passèrent à la chambre à gaz et ensuite au four crématoire. Il en est passé 2.000
en deux jours, soit une belle moyenne comme on voit. On ne peut pas tout contrôler, mais enfin un
jour tout se dévoilera.