Retour

LA DEPORTATION DE MON ARRIERE GRAND PERE
Souvenirs recueillis par Marjorie Manciet

Présentation. Le départ Sachsenhausen Le Travail L'avance russe Le retour

Cela dura une quinzaine de jours et un beau matin on nous demanda notre spécialité. Pour tacher de sortir de cet enfer, je me suis présenté comme ajusteur et ils nous classèrent suivant les métiers. Je fus désigné, ainsi que les autres camarades des divers métiers à aller travailler aux usines HEINKEL, fabrique d'avions de bombardement. On nous embarqua le lendemain sur des camions et des jeunes soldats SS nous accompagnèrent avec tous les égards dus à des bagnards et tous avec nos habits rayés, naturellement.

Nous sommes passés au milieu de la ville d'Oranienburg, mais les habitants, habitués sans doute, ne firent pas attention à nous si ce n'est quelquefois pour nous menacer du poing. Le voyage fût vite fait, car il n'y a que 6 km du camp à la fabrique. L'usine comportait 8 grands bâtiments, très bien conçus ma foi; à côté des halles où l'on travaille se trouvent les blocs. Au milieu de ces blocs une grande place où l'on fait l'appel et autour de tous ces bâtiments des fils de fer barbelés, électrifiés, comme de bien entendu.

On fit à nouveau l'appel sur la place et alors commença une comédie. Beaucoup de ceux qui s'étaient présentés dirent qu'ils n'avaient pas de spécialité et ils furent affectés à un bloc appelé bloc Kommando. En effet, ce fut le rêve pour eux, toujours dehors, mais l'hiver, ce fut terrible; toujours en plein air avec une nourriture insuffisante, presque pas de repos, toujours en corvée, soit pour aller charger des wagons de pommes de terre, soit des sacs de ciment, enfin une vrai vie de bagnard.

En ce qui nous concerne, nous étions au moins la journée à l'abri du mauvais temps, j'ai été affecté à la halle 2, au début, pour les pièces embouties de l'appareil. J'étais avec 2 civils allemands qui, ma foi, quand je leur ai fait comprendre que nous n'étions pas des bandits, nous traitaient à peu prés comme leur égal. Nous faisions une semaine de jour, une semaine de nuit et dans mon travail, je n'étais pas trop malheureux, car les civils ne sont généralement pas du métier et j'ai pu arriver à prendre le dessus. Je faisais ce que je voulais, où pour un outil il fallait une journée de travail, j'en passais facilement 3 ou 4 et ceci sans contrôle car c'est un travail où l'on marche à tâtons. Nous finissions le travail à 17h40, après c'était l'appel sur la place ce qui était assez vite fait s'il ne manquait personne, mais s'il manquait un bagnard, nous restions jusqu'à ce qu'on ait retrouvé le manquant; cela durant quelquefois 4 ou 5 heures. Nous avons eu une fois un appel qui a duré 13 heures. L'appel fini, nous nous rendions au bloc en colonne par 5 toujours et au pas où nous attendaient, soit les douches, soit revue de poux ou bien la fameuse désinfection.

Ensuite, distribution de pain, de margarine et nous nous mettions à table pour savourer notre copieux repas, le tout arrosé d'un café plutôt clair. Après cela, au lit pour généralement se relever vers minuit où I heure du matin, car les Anglo-américains passaient sur nous pour aller saluer Berlin. Nous descendions sous les blocs en ciment où ces messieurs les Vorarheters nous accompagnaient à coups de gourdin, car ils avaient une peur terrible des avions anglo-américains. Les alertes duraient de 2 à 3 heures. Nous remontions nous coucher pour se relever à 4 h 30. Ainsi on peut se rendre compte du sommeil et du repos que nous avions. Le matin, il fallait reprendre le travail comme d'habitude. Mais les choses se gâtèrent le 17 Avril 1943 à 3 heures de l'après-midi, les anglo-américains s'avisèrent de bombarder l'usine; cela fut court, une dizaine de minutes, mais ce fut terrible; il y eut au moins dans les 80 tués et je ne sais plus combien de blessés, tous des internés, car les civils, pendant les alertes, quittent l'usine. J'ai eu de la chance, pas une égratignure et depuis ce jour l'usine fut désorganisée. Tous les morts furent chargés dans une remorque pêle-mêle, même pas recouverts, et en route pour le camp de Sachsenhausen. La ville d'Oranienburg fut traversée en entier avec tous ces cadavres dont les bras et les jambes remuaient, c'était un joli tableau.

Tout le convoi fut conduit au four crématoire, lieu de repos des Allemands. Depuis ce jour là, ils ont agrandi le tour de l'usine et dès qu'il y avait alerte, nous partions dans les bois, mais les Américains ne sont plus revenus sur Heinkel. Cette vie continua pour moi jusqu'au soir du 11 Juillet 1944 et ce jour-là l'alerte sonna vers minuit. Je sortis dans le bois pour me mettre à l'abri. Passant devant le bloc Kommando, un obus de D.C.A. allemand tomba près de moi et un éclat me traversa les deux jambes, dont la gauche fut fracturée. Nous fumes blessés une vingtaine dont 1 tué. Une heure après, on nous amena à Sachsenhausen où je n'ai jamais autant souffert de ma vie. Je fus admis au revier et là, ils me laissèrent toute la journée et toute la nuit du 12 et je fus opéré le soir par le chirurgien COUDERC. Il me remit les os en place, me perça la jambe, me mit un étrier et me fit mettre dans un appareil appelé extension avec au bout de la jambe un poids de 12 à 13 kilos. Je suis resté en extension 5 mois, souffrant le martyre, sans aucun résultat. Ensuite, on me mit dans le plâtre jusqu'à la hauteur des reins et ceci dura encore 5 mois, me prenant photo sur photo et chaque fois, il fallait me refaire mon plâtre. Voyant que mes os n'arrivaient pas à se souder et comme j'ai fait un « ………. » ils finissent par m'enlever mon plâtre et je suis actuellement dans une gouttière (Mai 1945). Revenons un peu en arrière, sur la situation qui nous intéresse.