Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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la mort.
Libération.


J'ai été regroupé à la caserne Adolph Hitler à Schwerin ensuite et je suis rentré par des moyens divers: train, camion, etc... Par petits tronçons. Les Anglais nous ont pris à un moment donné avec des camions bâchés dont on avait enlevé les bâches parce qu'il faisait très beau. Et puis, nous étions là parmi des copains qui avaient la dysenterie, il fallait s'arrêter tous les kilomètres presque, c'était épouvantable, la dysenterie généralisée. Lors d'une étape, je rencontre quelqu'un qui était d'origine bordelaise, qui était de Bordeaux. On s'est reconnu à l'accent. Et le hasard faisait que nous connaissions effectivement la même personne. Moi, c'est une personne qui m'avait hébergé, chez qui j'habitais quand j'étais étudiant, en pension. Et puis, lui parce que ses parents étaient amis intimes de cette personne, de cette dame, dans la même rue, rue du Palais Gallien à Bordeaux. Et il avait été convenu que le premier rentré annonçait la venue de l'autre. Ce qui fut fait. Quand je suis arrivé, j'ai eu l'agréable surprise d'être accueilli par toute une bande: j'avais cinq ou six copains, Madame Gaujac ( cette dame là justement) ~ tout simplement parce que ce camarade là avec qui on avait passé ce contrat, cette convention, était arrivé avant moi. On me donne un énorme bouquet aussi. Pourquoi, parmi tous ces gens, est-on venu me donner un bouquet à moi? Et bien, je n' ai pas compris tout de suite. Après, on m'a aidé à comprendre. C'est qu'effectivement, on n'avait pas besoin de faire un dessin pour reconnaître en moi un ancien déporté, un déporté libéré au milieu de tout un train de prisonniers de guerre ou S.T.O ou travailleurs civils qui arrivaient, qui débarquaient. Alors donc, je n'avais pas besoin d'annoncer ma provenance, cela se voyait. Une jeune fille me donne ce gros bouquet, me fait une bise. Bon, j'ai été un peu abasourdi. Et puis, c'était tard, on n'avait pas les moyens téléphoniques d'aujourd'hui, le portable n'existait pas. Je ne pouvais pas joindre ma mère directement. J'ai fait faire la commission par la receveuse des postes et puis cette dame m'a hébergé cette nuit là et puis le lendemain, par auto-stop - il n'y avait pas d'autre moyen - par auto-stop, je suis rentré à Castelnau, dans mon village... enfin, c'était un chef-lieu de canton dans le Médoc où ma mère était directrice d'école. Et voilà. Et là, là, c'est retrouvaille. Mais, avec ma mère, il n'y avait pas beaucoup d'effusions parce que ça se passait à l'intérieur, ce n'était pas... C'était curieux. Elle avait été évidemment très marquée par mon arrestation et tout ça. Elle en avait pâti... Mais enfin, on ne s'est pas trop étendu... Moi, j'étais très diminué parce que j'écrivais presque phonétiquement, il y avait deux ans que je n'avais pas écrit en français. J'ai fait les dictées dans sa classe. Elle préparait les élèves au certificat d'études. Après la récréation de dix heures, j'allais dans sa classe, elle faisait la dictée. Moi, je faisais la dictée avec ses élèves pour me remettre un peu dans le bain. Et puis, j'ai eu une congestion pulmonaire, j'ai eu des trucs, des problèmes... Enfin, je n'étais pas en très très bon état. Je n'ai pas pu reprendre... J'ai été sollicité par des... Parce qu'avant ma déportation, j'avais une activité sportive et ceux qui organisaient des équipes d'athlétisme et tout ça, notamment du village voisin de Margaux, étaient venus me voir voulant m'enrôler dans leur équipe. J'ai dit: " Attention! Je ne suis plus comme avant. Cela m'étonnerait que je puisse faire quoique ce soit. " En effet, mes performances étaient méconnaissables: amoindri, je ne pouvais plus... je sautais un mètre de moins en longueur, je lançais le poids à trois mètres de moins en distance, etc... Et puis, je ne récupérais pas, je n'ai jamais récupéré en fait. On a récupéré du volume de chair oui, mais pas la détente, pas les muscles ~ tout au moins pour moi, cela c' est passé comme ça.

Voilà, on s'est intéressé à autre chose. Alors, j'ai fait de la musique. D'abord, il fallait trouver une activité. Je n'avais pas du tout envie de continuer mes études. J'avais fait deux ans sur trois à la Fac et puis tout était désorganisé en fait. C'était pas très clair en 1945. Et j'ai préféré entrer dans la vie active avec ce que j'avais. J'avais des propositions à deux endroits finalement: aviation civile d'une part... enfin c'était le S.T.S (Service Télécommunications Signalisations) qui s'occupait de toutes les transmissions dans l'aviation à l'époque, c'était très embryonnaire parce que l’aviation était l’aviation militaire par excellence, à Mérignac, c'était les installations anglaises qui étaient là. Mais j' étais dans une administration qui a pris la place des Anglais avec le même matériel pour ensuite devenir ce qu'elle est actuellement, c'est le contrôle aérien avec des radars, des contrôleurs, etc... et des techniciens, des électroniciens. J'avais une sollicitation... enfin, une possibilité d'autre part du côté de la police. Mes antécédents de résistant m'avaient... me permettaient de rentrer là aussi. Mais je ne regrette pas le choix que j'ai fait. Finalement, j'ai répondu à la première lettre qui est arrivée, c'est dans cet ordre là et je me suis dirigé dans l’aviation civile et je ne m'en plains pas parce que j'ai pu faire carrière là et j'ai pu, plus tard, reprendre des études abandonnées, refaire des maths, etc... et même avoir un certain niveau et finir ingénieur, chef de division, ingénieur principal. J'ai fait ce qu'il fallait et j'y ai pris un certain plaisir. A côté de cela, comme occupation extra-professionnelle, ce que je ne faisais plus en sport, je l'ai fait en musique dans un orchestre qu'on appellerait aujourd'hui un orchestre de variétés, dans lequel je faisais d'abord du violon et de l'harmonica. Les gens n'étaient pas difficiles après la guerre, tout le monde voulait danser et s' amuser. Et après, j' ai appris le saxo, la clarinette, etc... j'ai fait plusieurs instruments. D'ailleurs à cette époque là, chaque musicien avait trois ou quatre instruments, le même ensemble en étant cinq par exemple, c'est ce qu'on faisait quand on jouait dans les boîtes de nuit, on jouait au Casino de la Plage à Arcachon, à la Caravelle pendant de nombreuses années, quand on jouait des tangos, le tango se jouait avec un violon, un ou deux violons, le bandonéon, la basse, la contre-basse à cordes, le piano et puis le chant argentin, espagnol... Ca, c'est la formule tango mais quand on jouaIt du jazz par exemple, il fallait que ce soit du saxo, trompette, batterie, piano évidemment et contre basse aussi. Quand on jouait ce qu'on appelait à l'époque du typique c'est à dire des rythmes afro-cubains, etc... c'était la flûte ou la clarinette aussi. Pour les mambos, c'était du saxo aussi, avec les chachas et puis les tumbas, les maracas... On a donc fait ça un peu à la professionnelle, d'ailleurs j'avais des gens dans mon orchestre qui vivaient de la musique, qui étaient des professionnels, ce qui m'a attiré ou incité, ou imposé un rythme un peu supérieur à celui que j'aurais souhaité parce que j'avais quand même à faire mon travail qui était un travail de permanence à l'époque où je travaillais de jour et de nuit, j'étais dans un service... Et puis, j'ai utilisé le morse d'abord aussi parce que j'ai dit au début peut-être, quand j'ai été arrêté que je voulais passer de l'autre côté avec un brevet d'opérateur radio. Finalement, c'est ce brevet là qui m'a aidé à rentrer dans l'aviation civile parce qu'à l'époque, la transmission se faisait par morse. Alors, je suis rentré là grâce au morse. On faisait atterrir les avions avec la méthode Z.Z. : l'avion faisait un trait continu, il appuyait sur son manipulateur et de temps en temps, il lâchait et on lui donnait le relevé qu'on avait fait de son émission avec un gonio, on lui donnait le Q.D.M., l'angle par rapport au nord magnétique. Donc, il se situait dans un axe qui devait être celui de la piste. On faisait atterrir comme ça. Le morse était donc utilisé et aussi dans les relations lointaines, de point à point, aérodrome à aérodrome, etc... C'est finalement ce petit brevet là qui m'a permis de mettre le pied à l'étrier. Voilà. Ensuite, la musique, ce n'est pas quelque chose qui incite à avoir une vie très rangée, très " père de famille ". Disons que l'envie pour moi de créer un foyer n'apparaissait pas bien vite et j'ai mis très longtemps, très très longtemps à me décider. Il était quand même temps que je me décide parce qu'on finit par se déformer autrement et puis c'est irrémédiable. Finir vieux garçon, ce n'est pas souhaitable. Parce que je me suis marié en 1956, j'avais donc 33 ans. Voilà, 33 ans. Et à ce moment là, j'ai cessé la musique évidemment parce que la musique, c'était des soirées et des nuits à l'extérieur. Et puis, il y en avait marre aussi. J'ai arrêté en 1958, quand mon fils est né en 1958. On n'a eu qu'un fils parce qu'on était dans une maison, ici; mais on n'avait que l'étage supérieur. J'avais la maison, j'en étais propriétaire mais on ne pouvait pas déloger les gens qui étaient au rez-de-chaussée ici. Alors, on avait transformé !!. une partie du couloir en escalier pour aller... Je me suis fait construire un petit appartement en haut et je n'avais pas de deuxième chambre... enfin de troisième chambre pour la venue d'un autre enfant. Alors notre fils est fils unique, comme moi j'ai été fils unique et comme ma femme a été fille unique. Voilà. Mais c'est rompu par notre fils qui a deux enfants. Voilà une vie qui passe. Cela passe finalement assez vite avec beaucoup de choses dedans.

L'étudiante : " Vous êtes à la retraite depuis longtemps? "

R.D : " Depuis 1985. Cela fait donc 14 ou 15 ans. Mais en fait je me suis arrêté deux ans parce que j'ai eu un problème sérieux. Je paie l'addition là, je la paie lourdement. J'ai une hanche... D'abord, j'avais des réactions allergiques très violentes que j'ai eues pendant, pendant 18 ans, qui n'ont pu être maîtrisées qu'avec de la cortisone, à une époque où on dosait fort mal la cortisone, on en donnait beaucoup trop et on ne savait pas l'accompagner d'ingrédients qui la rendaient efficace: en moins grande quantité avec moins d'effets secondaires. Parmi les effets secondaires, c'est la destruction du tissu osseux. J'ai eu ma hanche droite qui s'est démolie, je ne pouvais plus mettre un pied par terre. J'étais encore en activité. En 1983, on me dit: " Au train où vous allez comme ça, il va falloir vous opérer d'ici trois mois, d'ici six mois. " Je me suis dit : Non. J'ai la possibilité de me reposer. Je vais voir, au train où je vais. C'est ça que j'ai retenu. J'avais l'impression qu'en me reposant... En étant déporté, on a des avantages, la législation a fait très bien les choses pour nous en France. Parce qu'ils donnent la possibilité, notamment à un fonctionnaire - mais cela date de la guerre de 1914-1918- un invalide de guerre peut, à plein tarif enfin avec toutes les indemnités, tout le traitement complet, plein traitement, comme s'il était en activité, soigner ses infirmités pendant 24 mois durant sa carrière, toute sa carrière. C'est l'article 41 de je ne sais plus quelle loi. Je n'avais jamais utilisé cette loi là, cet article là. Alors, voyant cela je me suis dit: je vais l'utiliser, je vais me reposer. Alors effectivement, cela ne nuisait pas à mes revenus, ce qui était indispensable à l'époque parce que je n'étais pas très pensionné et j'avais Jean-Louis qui terminait ses études de médecine (études relativement coûteuses), j'avais engagé pas mal de frais notamment ici. Alors, j' ai utilisé cet article 41. Si ma pauvre mère avait été de ce monde, elle me l'aurait reproché parce qu'elle disait qu'il ne fallait jamais profité de situation comme ça. Elle n'aimait pas que je demande une pension d'invalidité. Elle ne voulait pas. Elle avait des principes comme ça: c'est comme ça et on ne se plaint pas. Alors, j'ai eu cette grosse arthrose finalement qui me faisait souffrir énormément. Je me suis arrêté mais ce n'est pas en s'arrêtant que cela a été mieux. Le mal était trop engagé. Une ankylose, si on ne bouge pas, se met par là-dessus, ce n'est pas mieux. J'ai fait de la kinési, j'ai fait tout un tas de trucs. Et puis un beau jour ma femme a trouvé un bouquin traitant de l'arthrose par un docteur parisien, le docteur Picard qui donnait un procédé par l'oligothérapie avec des oligo-éléments. J'ai utilisé le procédé, j'ai reconstitué ma hanche. Les médecins ne le croient pas. Mais si on regarde les radios, on voit très bien que du côté où ma hanche était foutue, elle était fichue, il fallait mettre une prothèse... Ce qui m'a dégoûté aussi, c'est que suivant le spécialiste auquel je m'adressais, ce n'était pas la même chose: la voie d'accès n'était pas la même, les produits ne sont pas les mêmes, ce n'est pas normalisé... Moi, ça ne me satisfait pas du tout. Alors, cela m'a considérablement déplu parce que finalement c'est une loterie. On ne sait pas à quelle porte frapper. Alors ma hanche s'est reconstituée mais en perdant quatre centimètres de longueur de jambe qu'il faut que je compense avec des talons et tout ça. Et puis, il y a un petit liseré de cartilage qui s'est reconstitué mais j'ai des intramusculaires d'oligo-éléments deux fois par semaine - et j' en aurais toujours - depuis 15 ans. Voilà mes petites misères. A tous les niveaux, j'ai une petite misère. J'en ai là (à la hanche), au niveau du poumon parce que j'ai une paralysie phrénique: j'ai le diaphragme du poumon du côté gauche qui ne marche pas. Quand je respire, il n'y a que le poumon droit qui se remplit d'air. Il n'y a plus cette séparation. Alors, c'est un handicap parce que finalement je suis facilement essoufi1é. Et puis j'ai perdu la vue de l'œil droit, la vue centrale. Je peux me guider, je ne perds pas l'équilibre, je peux conduire. Le problème est d'éviter la même chose à l'œil gauche. J'en connais d'autres. D'après le Professeur Sahel que j'ai vu à Strasbourg, il dit que cela peut être lié à la dénutrition prolongée. C'est une dégénérescence maculaire. Le Professeur est très connu parce qu'il a fait une découverte. On ne sait pas y toucher à la rétine. Il ne peut rien pour moi. Mais c'est quelqu'un qui connaît très bien le problème et qui m'a donné des tuyaux. Comme son nom l'indique: José ou Joseph Sahel, il a eu de la famille qui est partie en fumée. Quand je lui ai dit que j'étais un ancien de camp, il s'est particulièrement intéressé à moi. Il m'a donné des conseils pour surveiller cet oeil [le gauche] et puis il m'a donné des adresses à Paris s'il m'arrivait quelque chose en Martinique.


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