Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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la mort.
Libération.


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L'étudiante: Vous faisiez donc des études au moment de la guerre à Bordeaux?

G.D: Voilà. Depuis longtemps, j'étais passionné de ce qu'on appelait la radio. Je passais des nuits à construire des postes - d'abord des postes à galènes puis ensuite avec des lampes: A409, B406, etc. ..des vieilles lampes, des batteries et des piles pour essayer d'améliorer le son et la portée. Et j'étais un passionné de radio. Mon père avait à Macau justement construit un petit poste, il était un des premiers à avoir fait un poste de T.S.F. comme on disait à l'époque : Téléphonie Sans Fil. C'était ça T.S.F. On écoutait Bordeaux -Lafayette, c'était l'unique émetteur que l'on pouvait espérer détecter. Et il avait laissé, en partant vers d'autres amours, il avait laissé dans une caisse tout un tas de pièces détachées avec lesquelles il s'était construit autrefois ce petit poste. Je crois qu'il avait été le deuxième dans le patelin, à Macau, à avoir un petit poste comme ça. Et j'avais commencé avec ces débris là à faire quelque chose et puis ça m' a passionné, j'aimais ça. J'ai appris par la suite qu'il y avait une école dite secondaire de préparation à la Faculté des Sciences pour atteindre le diplôme d'ingénieur radio -électricien en passant un concours d'entrée, un examen d'entrée. Enfin, on n'était pas tellement nombreux. C'était un examen surtout, on l'appelait concours mais en fait, c'était un examen. Ca ne se bousculait pas. Les étudiants à la Faculté n'étaient pas aussi nombreux qu'aujourd'hui. On était même très peu nombreux. Donc, j'ai satisfait cet examen parce que j'avais fait. ..j'aimais pas mal les mathématiques et c'était ce qu'il fallait essentiellement. Et puis, j'étais donc inscrit dans ce cours qui, au bout de trois ans, devait amener à un diplôme. Mais est arrivée à ce moment là la guerre - il y avait donc déjà la guerre en 1939 - la débâcle en 1940, l'occupation allemande et Allemands qui voyaient d'un mauvais oeil que des jeunes Français soient instruits en matière de radio-électricité parce que c'était d'un usage qui aurait pu être orienté vers une activité clandestine qui ne leur était pas favorable. Ils ont donc, à la Faculté des Sciences, supprimé toute la partie Haute Fréquence. Dans la radio, il y a la Haute Fréquence et il y a la Basse Fréquence ~ la Basse Fréquence, c'est le son, c'est tout ce qu'on entend, fréquence acoustique. La Haute Fréquence, ce sont les ondes hertziennes. Bon, ils avaient supprimé cette partie Haute Fréquence pour ne conserver que la Basse Fréquence. Cela perdait de l'intérêt. Cela ne présentait plus d'intérêt de continuer.

Nous continuions tout de même mais c'est à ce moment là que, déjà, sous l'occupation, des interrogations... enfin, nous étions soumis à des interrogations. D'une part et parmi nous, on a eu vite fait de se retrouver entre camarades qui avions à peu près la même opinion, c'est à dire qui ne... méconnaissant ce qu'était vraiment le Nazisme à l'époque -on ne peut pas dire que c'est un problème d'idéologie, de refus de cette idéologie là- c'était plutôt une réaction patriotique. On avait mal digéré cette défaite, cette défaite sans riposte, sans combat nous semblait-il bien qu'il y ait eu quand même d'avantage de morts parmi les soldats français qu'on ne le pense. Je n'ai plus les chiffres en tête, mais j'ai été surpris d'apprendre... il y a quand même des gens qui se sont sacrifiés pour éviter ça mais enfin on était très mal préparé, le climat n'était pas favorable et puis d'un autre côté, il y avait une ambition dévorante et on ne pouvait pas endiguer ces cohortes teutonnes, il n 'y avait rien à faire. Alors nous étions là regroupés, enfin on avait sympathisé. Il y avait des groupes de gens qui n'admettaient pas ça, des groupes de jeunes qui n'admettaient pas ça et qui regardaient d'un mauvais oeil ceux qui étaient réjouis, qui exultaient même, qui épousaient les théories de leurs parents souvent, qui disaient: "Enfin! Enfin, il va y avoir de l'ordre! Enfin, l'ordre nouveau, ça va être de l'ordre! parce qu'il y avait du laisser-aller, on commençait à mettre des shorts! Mais je sais que j'ai été le premier à Castelnau à mettre une paire de shorts, c'était un scandale - cela a bien évolué depuis. Bon, mais c'est ça, c'était sortir... On comptait bien sur l’influence germanique pour nous remettre sur le " droit chemin ". Certains pensaient ça et non seulement ils le pensaient mais ils le disaient. Et leurs progénitures, les jeunes qui se trouvaient là, épousaient à peu près les mêmes sentiments. Bon, encore ceux là, c'était encore des gens passifs qui n'étaient pas mécontents de l'aventure, qui disaient: "Finalement, les Allemands sont corrects." Et c'est vrai qu'ils s'efforçaient d'être corrects, ils se conduisaient bien, ils avaient belle allure, ils cherchaient à être le moins pesant possible, tout au moins apparemment. Et puis, il y avait aussi l'espèce de gens dont on se méfiait qui... dont on disait: " Oui, son père collabore, il fait ceci, il fait cela. " Il y avait des gens dont il fallait se méfier.

Et alors, étant donné l'évolution à deux endroits finalement: l'évolution à l'intérieur de la Faculté en ce qui concerne notre cours et les débouchés et la variante qui nous était imposée et qui ne nous stimulait pas beaucoup; et puis, d'autre part, l'évolution sur le plan international, cette occupation, ces bombardements, etc... une action à mener. On ne se sentait pas avoir le droit tellement de rester inertes. Et c'est la photo que je vous montrais tout à l'heure, cette photo de camarades de Faculté. où nous étions partis nous promener en vélo un dimanche. Il y avait donc fomentation et Camille Lajarthe, que je vous ai montré, qui s'est fait tuer en Italie - il est mort à Pouzzoles - il me dit: " J'ai des ennuis. La Gestapo est venue chez moi pendant qu'on n'y était pas ". Son père était à la SNCF conducteur de locomotives et pendant l'absence de son père et de sa mère qui était à la campagne. Ils habitaient du côté d'Abzac - nous allions faire les vendanges d'ailleurs là avec toute l'équipe des jeunes de la Faculté, c'était sensationnel, on se connaissait très bien - et il me dit: " Je suis poursuivi " parce qu'il avait quand même une certaine activité, il voulait rejoindre les Forces Françaises Libres. Il cherchait des filières et en cherchant des filières il s'était fait un peu remarquer et il avait la Gestapo, chez lui, avait tout bouleversé. Et il était venu se réfugier chez moi à Castelnau. Ma mère d'ailleurs n'a pas su ce qui lui arrivait. Si elle l'avait su, elle n'aurait pas dormi. Il est venu passer quelques jours et j'ai appris plus tard qu'il était venu se cacher là et etc. ..Ensuite, il est parti par l'Espagne du côté de la frontière ici, du côté de St Jean Pied de Port par là. Il a réussi son passage et avant de partir, il me fait passer un message en me disant: " Va voir mon père, il est au courant. Je pense que là où je vais c'est fini, je suis un des derniers à pouvoir passer. Va le voir, il te donnera, il te mettra en rapport avec des gens capables de te glisser vers une filière. " En effet, c'est ce que j'ai fait: j'ai vu son père qui par la même occasion m'avait donné de la farine de maïs. J'étais revenu avec un petit sac de farine de maïs. On a pu manger à sa faim parce qu'on était en pleine période de restriction et quand on a 18 ans, on a les dents longues, on a envie... Moi, tout du moins, j'avais un appétit féroce et c'était bienvenu sa farine de maïs parce que c'était bien compact, cela colmatait pas mal. Et bon, son père Lajarthe me fait connaître un individu qui m'a paru louche et après, on a su que c'était un gars qui travaillait pour les deux, c'était un espion double mais qui finalement m'a donné un tuyau intéressant qu'on a utilisé. Je dis "on" parce que dans mon patelin, à Castelnau, il y avait un camarade, j'avais un camarade qui n'attendait que ça. Il savait que moi j'étais à Bordeaux, lui restait dans le coin où il était apprenti-boucher charcutier, c'était un sportif: il faisait du vélo, il faisait du sport avec nous - André Moulinat - il y a une rue qui porte son nom d'ailleurs parce qu'il est mort à " Sachso. ". Il me dit: " Si tu pars, fais-moi signe, je pars avec toi. " Alors je lui ai donc fait signe: " Voilà .C'est décidé, je vais partir. " C'était en mars 1943 par là. Mais déjà, c'était fomenté, tout ceci était envisagé depuis mi 1942. Il y avait aussi - mais ça je le saute parce que ça n'a pas abouti - ils avaient, ces imbéciles, ils avaient fait la liste des gens qui étaient sympathisants, enfin qui avaient à peu près le même état d'esprit dans notre cours qui n'étaient pas du tout pour l'occupant, voire anti-allemands. Et cette liste là a failli coûter la vie à pas mal de gens, tout au moins pas mal d'ennuis parce qu'elle a failli être découverte, être prise par les Allemands, etc... Il y a eu tout un tas d'histoires. C'était la dernière chose à faire, on ne doit jamais laisser des listes comme ça. Il semblait, paraît-il que sur cette liste là, je me trouvais inscrit moi aussi. Alors, ça, ce n'est pas des trucs à faire, je ne l'ai appris que plus tard. Tout ça pour vous dire que ça ne s'est pas décidé en peu de jours et sans tâtonnements.

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