Entretien
avec Guy Ducos.
Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux
Mémoire de Stéphanie Vignaud.
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Libération. |
Ensuite, le bois de Below où on est parqué là, on arrive en pleine nuit dans ce bois, on est resté deux jours, presque trois, on
n'avait pas d'eau et pour chercher de l'eau, il fallait aller en lisière de la forêt. Il y avait une mare. Mais les S.S. surveillaient
là et interdisaient d'y aller. Il y a eu des trucs... C'est Chataigné qui est allé chercher de l'eau, il a pu y aller. On n'était
pas tranquille. On avait peur d'entendre un coup de feu. C'est tombé sur lui, on a fait un truc à la courte paille. Et... c'est
comme ça qu'on se débrouillait. Il a pu ramener de l'eau. Parce que là, au bois de Below, ils avaient cerné ce bois et puis tous
ceux qui approchaient de la lisière, ils les descendaient. Et puis, ils ont emmagasiné là tout un tas de gens qui suivaient de tous
les coins. Ils ont trouvé un charnier d'ailleurs à proximité en faisant l'autoroute. Enfin, bon, cela a été un bois... Et puis de
ce bois, on est parti un beau jour, peu de temps après d'ailleurs, et on a continué jusque vers Schwerin qui se trouve presque à
autant de distance que ne l’était Below de Sachsenhausen; autrement dit, au bois de Below, on était presque à moitié de parcours.
On a peut-être fait un peu plus parce qu'il y avait davantage de dédales, après les routes étaient plus droites. Et là, on a continué
de marcher, on a laissé des gens sur le bord de la route de plus en plus. Tout le monde se traînait. Et même les civils aussi se
traînaient. C'était de plus en plus lamentable. On arrive aux abords de Schwerin qui est une magnifique petite ville sur le bord
d'un lac. Mais, ce n'est pas là qu'ils voulaient nous amener, ils nous ont fait bifurquer sur la gauche pour aller vers Lübeck
justement, vraisemblablement. Mais n'empêche qu'on est allé dans les faubourgs de Schwering. Et on avait l'impression que la surveillance
était de plus en plus lâche.
Alors Guy me dit: " Il faudrait peut être... On ne sait pas où on va comme ça, on ne sait pas comment cela va finir ". On était de
moins en moins nombreux, on voyait bien qu'on lâchait du monde, et puis, les gens étaient de plus en plus énervés et tout ça, les
S.S. tiraient un peu partout. Et puis il me dit: " J'en ai vu qui ont tourné dans une cour de ferme et puis ni vus, ni connus. Si on
essayait de faire pareil? " Je lui ai dit: " Moi, je veux bien. Essayons. " Alors, au premier passage que l'on trouve à droite pour
aller vers une cour qui descendait, en face il y avait une grange et puis une cour sur la droite, on descend. On n'avait pas fait
- je ne sais pas - dix pas dans ce passage là, qu'est-ce qu'on voit sortir de là? Un officier S.S. qui arrive droit devant nous.
Alors, mon sang n'a fait qu'un tour, je me suis dit: " On est chouette! " Le gars, il en avait sans doute marre de tirer des coups
de revolver - je n'en sais rien - il nous fait signe: " Non, non. Pas là. Revenez là-bas ! " Il nous a dit de repartir sur la route.
On a " eu chaud " parce qu'on aurait pu tomber sur un type qui nous abatte froidement. On a eu chaud. Alors finalement, c'était un
peu ridicule et puis ils voyaient bien que la fin arrivait les S. S. C'était un peu ridicule parce qu'on a continué de marcher. Peut
être quelques centaines de mètres plus loin, tout d'un coup, plus de S.S. autour de nous !. Alors, on continuait presque à marcher
machinalement et il n'y avait plus de S.S.. Et puis, moi, je vois sur un camion qui était un camion militaire bâché... je vois un
Ukrainien ou un Russe... un Ukrainien qui saute dans le camion, qui déchire la bâche ou qui l'ouvre - il me semble qu'il avait
donné un coup de couteau ou de lame de scie comme ça à la bâche, je ne sais pas - il plonge là-dedans et puis je le vois ressortir
avec une bouteille à la main, il casse le goulot et " glou, glou. " " Paf ", il tombe raide! Le deuxième qui est monté sur le camion,
cela a été moi parce que je me suis dit: s'il y a de quoi boire, il y a de quoi manger. Je m'en foutais moi de me péter l'estomac
dans lequel je n'avais rien depuis un bout de temps. Si, j'ai oublié de dire qu'à la sortie du bois de Below, il y avait eu une
distribution de colis de la Croix Rouge, un colis pour quatre ou cinq, je ne sais pas quoi, mais des choses qui arrivaient bien,
au bon moment parce que là... on mangeait de l'herbe, on mangeait des pousses de vergne et des pousses, tendres, on mâchait ça. On
avait voulu faire de la soupe et des trucs comme ça, mais ça ne marchait pas très bien. Et puis, il n'y avait plus rien. Quand il
est passé des milliers de personnes, il n'y avait plus rien, plus rien à " bouffer ", même pas un gland, rien !. Et. puis, il y avait
peut être des choses toxiques. Quand on était au bois de Below en pèlerinage, Christian Salles qui s'y connaît en botanique me dit:
" Ca, c'est mortel! ", une plante ! Heureusement qu'elle n'existait pas en 1945 autrement on... parce qu'on " bouffait " tout ce
qu'on voyait. Je grimpe sur le camion et je vois une boîte en carton. J'ouvre et je vois que ce sont des biscottes, je balance la
boîte de biscottes. En bas, il y avait Chataigné, Gieulles, ils étaient là les autres, en bas. Ce n'était pas la peine qu'on monte
tous. Il y en avait d'autres qui montaient à côté de moi, des types. Alors, c'est la foire là-dedans. Alors je ne traînais pas.
J'avise une caisse de " singe "... enfin, je dis du " singe ", c'est du bœuf, c'était des boîtes de conserves de viande. Ca, ça
pesait. Je la mets là, je la lâche. Le gars qui était en dessous ne l'avait pas bien rattrapée, elle lui tombe sur le nez et il
s'ouvre le nez en deux avec cette caisse. C'est Gieulles de l'Hérault. Ensuite, il y avait aussi une caisse de boîtes d'une livre,
des demi boîtes comme ça, demi boîtes de fromage, un peu comme de la Vache qui rit. Cela avait cette allure là, des conserves de
fromage dans des boîtes. C'est la première fois que je voyais ça. Ce n'était pas habituel. C'était pour l'armée, l'armée allemande.
Ils se nourrissaient de ça vraisemblablement. Alors bon, les biscottes, la viande, le fromage, de la boisson - je sors une bouteille,
des trucs, même une bouteille de schnaps - et quand j' arrive en bas, qu' est-ce que je ne vois pas? Chataigné qui avait ouvert une
bouteille. Il dit que ce n'était pas du schnaps mais un vin cuit. Mais moi, je dis : " Attention! " Je venais de voir l'Ukrainien
raide parce que je pense qu'il a dû se " farcir " une hémorragie stomacale. On peut y laisser la peau avec un truc comme ça !. Il
faut se méfier !. On n'avait pas un estomac prêt à recevoir grand-chose. Surtout pas de l'alcool fort, à un degré élevé. Alors,
j'ai attrapé la bouteille et je l'ai balancée.
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