Entretien
avec Guy Ducos.
Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux
Mémoire de Stéphanie Vignaud.
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Alors, quand on dit: qu'est-ce qui vous a amené à avoir cet état d'esprit? Je peux vous dire une chose, c'est que le milieu familial,
ma mère a toujours mis en avant le patriotisme et tout un tas d'idées que je considère comme très saines. Je ne parle pas de mon
père, bien évidemment~ mon grand-père aussi, parce qu'elle avait encore son père à Bordeaux. Il y avait donc dans le milieu familial
assez réduit qu'était le mien, il y avait là des idées très nettes sur ce plan. Et puis il y a aussi ces relations amicales au sein
du milieu étudiant qui venaient s'ajouter. Et ce n'est pas autre chose qui m'a fait démarrer. S'ajoutant à cela aussi - il faut le
dire - l'enthousiasme que provoquait chez la plupart d'entre nous, même pratiquement tous d'ailleurs, l'attitude de De Gaulle et des propos qu'il avait
tenus même si on n'avait pas eu l'occasion de l'entendre directement, ce qui était rare, mais on a toujours pu avoir le texte ou
le réentendre par la suite. Ca c'était aussi effectivement et il ne faut pas l'oublier, c'était essentiel. Notre attitude était une
réponse à cette invitation. Oui, c'était essentiel. Il y a trois raisons concomitantes mais elles n'ont pas toutes la même importance.
Alors, on embarque pour rejoindre un réseau, enfin une antenne de l'armée secrète qui se trouvait à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées
Orientales. Il y a deux vallées successives: l'une, le Conflent, c'est la vallée de la Têt et l'autre, c'est la vallée du Tech. Dans
la vallée du Tech, le Vallespir, il y a Arles-sur-Tech, etc... alors que du côté de la Têt, il y a Thuir, il y a donc l1le-sur-Têt.
Ce sont deux vallées qui sont relativement parallèles, séparées par des crêtes montagneuses importantes et qui vont jusqu'au pied
de la grande montagne et même à l'intérieur de la grande montagne. Alors, nous étions à mi-parcours de cette vallée, à Ille-sur-Têt,
dans une zone interdite dans laquelle il aurait fallu des papiers spéciaux pour pouvoir rester, que nous n'avions pas. Et j'étais
donc avec mon copain, mon copain Moulinat, on était parti tous les deux comme ça... avec l'intention, pas de rester dans l'armée
secrète, mais avec l'intention de passer de l'autre côté. Moi, je n'étais pas attiré par l'armée de l'ombre, des ombres. J'avais
peur aussi... enfin peur. Je préférais utiliser parce que j'avais mon brevet... parce que, parallèlement aux études qu'on faisait
et sachant qu'on était en guerre en 1939 et tout ça, avec un copain, un ami que j'ai toujours ici Henri Aufrère qui a eu un poste
important de responsable des pompiers de la Communauté Urbaine, il était le patron de la caserne des pompiers. Henri Aufrère, c'est
surtout lui qui a insisté pour ça et au fond, il avait raison, cela venait de lui et puis de son père aussi qui le conseillait. Son
père était directeur de l'entrepôt St-Gobain. Il me dit:" On va être certainement sollicité par la guerre - c'était en 1939-1940,
avant la débâcle donc - à l'âge que nous avons. " En 1940, moi j'avais 17 ans, né en 1923 ~ lui avait un an de plus, il avait 18 1ui.
Il me dit: " On devrait faire quelque chose qui pourrait être utile parce qu'on n'aura pas la possibilité de terminer nos études
certainement et qui pourrait être utilisé dans l’armée. " Et, à ce moment là, on a préparé, on a travaillé... parce qu'il y avait
des cours pour cela qui étaient organisés, dans ce but, au sein de la Faculté aussi, des cours d'opérateur radio; opérateurs radio,
c'était des gens qui travaillaient en morse et les diplômes étaient délivrés par les P.T.T. ils permettaient d'être radio de bord
dans la Marine, voyez sur des bateaux avec passagers, ou bien... enfin il y avait plusieurs degrés là aussi: dans l'aviation, moi
j'avais eu un spécial aéronautique d'ailleurs comme diplôme additif aussi. Enfin, on avait donc ce petit bagage là. On pouvait être
opérateur radio, on avait. vraiment la possibilité de converser en morse, etc. ..et puis on avait aussi acquis une technique par
ailleurs parce que dans le cours principal pour lequel on était inscrit, on étudiait la radio, sans Haute Fréquence depuis. ..Mais
enfin, on avait fait pas mal de choses déjà. Alors, ce diplôme là, enfin tout du moins ce brevet de radio, d'opérateur radio plutôt,
ce brevet d'opérateur radio... on aurait pu chercher à l'utiliser dans la Résistance mais comme on ne savait pas encore comment cela
se passait parce que certainement. on allait être sollicité. Mais, à ce moment là, cela ne collait pas du tout avec ce que cherchait
mon copain de Castelnau qui, lui, voulait aussi aller de l'autre côté, il n'avait pas de brevet équivalent, un brevet semblable.
Pour lui, ce n'était pas du tout son objectif. On a dit: " On va passer de l'autre côté là bas et on sera dans l’armée. On ira en
Espagne. " On avait tous les éléments pour aller là-bas.
On arrive donc à l11e-sur-Têt où se trouvaient bien sûr les occupants. On rencontre un responsable de l'armée secrète, le capitaine
Bosc qui était professeur dans une école professionnelle de Prades. Et le capitaine Bosc nous dit: " Moi, vous savez, j'ai besoin
de personnes ici. De toute façon, on est très ennuyé depuis que les Allemands ont envahi la zone non-occupée " - ce qui s'est fait
en novembre 1942 avec le sabordage de la flotte de Toulon. Depuis ce moment là, les Allemands sont sur la frontière à la place de
la surveillance française et la frontière est devenue hermétique. Il me dit: " Je n'y arrive pas... J'ai du monde dans tout les coins."
Alors. qu'est-ce qu'ils faisaient dans ce réseau à Ille-sur-Têt? Ce qu'ils faisaient essentiellement, c'était faire acheminer vers
l'Espagne tous les gens qui devaient fuir l'hexagone. C'était indifférent: aussi bien des aviateurs alliés parachutés d'avions
touchés par exemple, que des gens qui étaient poursuivis pour faits de résistance et qui étaient recherchés par la Gestapo, enfin
tous les cas de figure, même peut être aussi des Israélites qui fuyaient la persécution. Il y avait de tout. Il nous dit qu'il avait
à différents endroits de quoi les stocker, pas en zone interdite certainement, c'était trop risqué. Mais il me dit: " Il y en a
partout. C'est trop risqué. On ne peut plus passer et vous me demandez de passer en plus alors que je sais que je vais avoir besoin
ici de personnes, je vais avoir besoin de monde parce que... Moi, je vais vous avoir tout de suite de faux papiers. Vous allez être
bûcherons dans les montagnes, cela va être votre métier officiel et puis vous resterez là. On va avoir sous peu des coups de main,
etc... " C'est ce qu'il nous disait donc au mois de mars 1943. Néanmoins, moi je persévérais en disant... J'étais parmi ceux qui
ne voulaient pas et puis mon copain Moulinat aussi. On a dit: " On ne veut pas. " Trois autres qui se trouvaient là avec la même
intention que nous, mais plus malléables - les trois autres qui arrivaient d'ailleurs... il y en a un qui arrivait d'Abzac, etc...
il n'avait aucune relation directe avec Camille Lajarthe mais Doumain qui vit encore, je le connais bien, a été dans le camp et
est rescapé; et puis un nommé Orthez qui est mort depuis mais sans que cela soit lié à une déportation ou un fait de résistance ou
de guerre et puis Cazeaux qui vit retiré, il ne veut plus entendre parler de rien, il est en retraite à Labenne avec sa famille,
il était dans le milieu médical dans un hôpital psychiatrique. Il ne veut plus entendre parler de la déportation comme si cela
n'avait pas existé - c'est un peu ridicule - ou cela lui fait peur, ou cela lui donne des cauchemars, c'est possible, je ne sais,
je ne sais. Bon enfin, il y avait ces trois là que nous ne connaissions pas mais qui étaient arrivés un peu avant nous et qui étaient
hésitants. Ils avaient dit: " On vient pour passer de l'autre côté mais... " et envoyés aussi par le même gars que j'avais trouvé
un peu louche, un nom comme Parisse... je le revois encore, ce type là, vraiment inquiétant. On n'était pas tranquille, on se demandait
ce qui allait nous arriver. Mais, il a été O.K, c'était bien ce qu'il nous avait indiqué, ce n'était pas une piste " foireuse ",
c'était sérieux. Et puis, on est resté donc quelques temps là, il nous a enrôlés. On n'avait pas encore eu les papiers en règle
que le capitaine Bosc m'appelle et me dit: " Voilà, j'ai réfléchi. On ne peut pas rester comme ça. Il faut qu'on tente à tout prix
des passages vers l'Espagne. Alors, vous voulez y aller? Puisque vous voulez y aller, on va prendre des risques. Essayez de reconstituer
une filière! " Etant donné que l'Espagne, on n'y connaissait rien, on ne connaissait personne, il nous dit: " La seule chose solide
que l'on ait actuellement et qui pourrait marcher mais qu'on ne peut pas solliciter puisqu'on ne peut pas passer, c'est le côté
espagnol, la ville de Camprodon. " Je crois me souvenir Camprodon. Je dis une ville mais c'est certainement un petit patelin. Et
à l'époque, il n'y avait rien d'écrit mais il nous avait dit: " A l'entrée du village... à tel endroit, telle maison... " Il nous
avait dit: " Il faut que vous rejoignez ce gars là-bas et, lui fera le nécessaire pour que vous retrouviez les Forces Françaises
Libres. " Alors, il me dit: " Si vous voulez. ..si vous voulez être armés, j'ai des pistolets à vous proposer, des..." J'ai refusé.
J'étais contre, parce qu'on ne pouvait envisager de passer en force. " Si on passe, c'est qu'on passe inaperçu. On va s'efforcer de
passer inaperçu. Si on est confronté à. .., cela ne sert à rien d'aller filer le coup de feu, on sera attrapé de toute façon et à
ce moment là, on sera... le compte sera bon. Il faut passer comme ça. On est face à un surnombre. On allait se trouver - moi, je
parlais pour Moulinat et moi - on va se trouver tous les deux, qu'est-ce qu'on va faire? " Parce qu'on avait quand même un bon
parcours à effectuer dans des zones interdites, comme il y avait des zones interdites tout le long du littoral atlantique, à Lacanau
c'était bloqué tout çà, il fallait avoir des laissez-passer spéciaux. " On va avoir à naviguer en zone interdite, à utiliser différents
moyens de locomotion " mais, il n'y en pas 36 : il y a la route, il y a le petit chemin de fer et puis le torrent - le torrent, il
n'est pas navigable - et puis à pied en passant sur les crêtes ou de rochers en rochers en se cachant. Enfin, il y avait quand même
beaucoup de kilométrages à faire pour atteindre la pleine montagne. Le dernier village, le dernier hameau, c'est Py. Et c'est très
joli, merveilleux. C'est un hameau où il n'y a pas de rues horizontales, ce sont des escaliers entre les maisons. C'est très curieux.
C'était réputé d'ailleurs, un endroit connu du temps de l'attaque des diligences, il paraît que là, c'était un repère de brigands.
Ils avaient " zigouillé " le curé et ils avaient pris sa place et sa tenue vraisemblablement. Ils descendaient pour aller attaquer
des diligences où je ne sais quoi, détrousser des braves gens et tout le butin, ils le ramenaient dans l'église. L'église servait
à çà. C'est un endroit très retiré en pleine montage et c'est le terminus. Il y avait juste un petit chemin qui amenait jusque là,
après il n'y avait plus rien. Maintenant, ils ont dû construire des trucs, cela a dû changer.