Sans en avoir de séquelles, rares sont les camarades qui n'ont rien. D'ailleurs, en rentrant, ou c'était des pulmonaires ou
c'était des cardiaques, ou c'était... Moi, je vous dis, mon plus gros problème, c'est l'arthrose et les rhumatismes, j'essaie de
me soigner: d'abord en cure, je vais en cure depuis 1967, cela me fait beaucoup de bien et je continuerai tant que je pourrai, tant
qu'on m'accordera l'autorisation de faire des cures, et puis, je fais du sport - enfin, moins qu'avant - je fais beaucoup de vélo
et beaucoup de gymnastique pour garder une certaine souplesse.»
L'étudiante: «Avez-vous ramené des objets personnels que vous aviez en déportation ? »
R.D : « Des objets personnels, je n’en ai pas ramené parce que je n’avais rien de personnel. Comme j’avais le typhus, tout ce que
j’avais a été brûlé, on m'a tout sorti. On m’a tout sorti à telle enseigne même que j'avais récupéré quelques «bricoles» de Paul
Cassou qui avait été abattu à côté de moi et ça a disparu. Ce qui fait que je n'ai pas pu ramener un souvenir de ce camarade à ses
parents. Ce que j'ai ramené, c'est un bidon. Le jour où on a été libéré, j'ai récupéré dans un baraquement «boche», dans un
baraquement allemand, j'ai récupéré un carnet sur lequel j'ai pris quelques notes et puis j’ai mis quelques notes qui me servent
parfois parce que j’ai des camarades, surtout ~ Jacques Grébol qui a moins de mémoire que moi - moi j'en ai parce que je prends
beaucoup de notes. J'ai marqué sur ce petit carnet les étapes, surtout de notre passage après la libération. J'ai ramené un bidon,
un bidon «boche » de l'armée allemande, souvenir. Qu'est-ce que j'ai ramené ? J'ai ramené alors mon numéro de matricule de Buchenwald:
86.606 que j'ai découpé sur mon costume rayé avant qu'on ne me le brûle parce que je voulais un souvenir, on me l'a laissé, je ne
sais pas comment d'ailleurs. Nous avions un numéro de matricule et puis le triangle rouge avec la lettre F. Et puis, à Sachsenhausen,
j'avais le 66.630 que je n'ai pas récupéré puisque c'est un matricule qui a disparu quand je suis arrivé à Buchenwald, mais on
avait un deuxième jeu tout neuf qui devait nous servir le cas échéant et que j’ai gardé aussi.
Je peux vous montrer mon petit carnet, des lettres que l'on envoyait à nos parents, le bidon... et quoi d'autre ? Vous savez, je
n'ai pas ramené grand chose, j'avais de la peine à me ramener moi-même, hein? [il va me les chercher] Voilà. C'est pas gai, mais
enfin! [il me montre des photos de lui à son retour de déportation] Ca a été fait ça deux mois après. Je suis rentré le 21... libéré
le 23 avril, rentré le 21 mai. J'ai fait faire cette carte [carte d'identité] tout de suite après. Voilà ma figure [photo]. Alors,
voilà le petit carnet que j'ai trouvé le jour où j'ai été libéré le 23 avril 1945 et où j'ai mis, j'ai pris quelques notes: je suis
parti le 7.3.43, arrêté le 14, transféré à Bordeaux le samedi 3 avril... Il y a des points précis: départ le jeudi avant Pâques à
15 heures, arrivée à Compiègne le samedi à 20 heures, départ le samedi 8 mai à 8 heures, arrivée à Sachsenhausen le lundi 10 à 2 heures
de la nuit, départ pour Küstrin le mercredi 26. Voilà Paul Cassou de Mont-de-Marsan [photo] abattu, il avait ...il était de 1924,
il avait 21 ans, même pas. [silence] Voilà des colis [feuilles spéciales à biffer tout ce qu'il y avait dans les colis reçus de la
Croix Rouge]. Je devais avoir une tête sympathique malgré mon crâne rasé parce que tous les camarades me chargeaient de faire des
distributions quand il y en avait. C’est parce que j’étais dans les impôts peut être, je n'en sais rien. Alors le 13 février 1945
à Buchenwald, on a reçu un colis de la Croix Rouge partagé en 10 au block 52; le 22 février 1945, partagé en 5 au block 19. Alors
les 5, ils sont derrière. Dauba, Sierp, Cassou, Grebol, Tille, block 19. Ca, ce sont des souvenirs qui sont passés par Buchenwald.
Je viens de voir mon petit papier de désinfection: le 10 mai 1945, désinfecté par les Américains au D.D.T. Alors voilà le petit
carnet que j'ai trouvé: trouvé le 23 avril 1945 en Allemagne. »
L'étudiante: «Vous avez pris toutes tes adresses de vos camarades ? »
R.D : «De certains camarades que j’ai connus à cette époque là. Il yen a peut être les 8110ème qui ont disparu depuis.»
L'étudiante: «Et vous avez gardé des contacts avec eux tout au long de ces années ? »
R.D :~ : « Oui. Oui. Avec quelques uns oui. Je vous parlais de Sroka tout à l'heure, Sroka que j'ai connu en 1943 est décédé.
Dans le kommando de Küstrin, c'est comme dans tous les kommandos, c'est une petite famille. Nous avions un camarade qui habite
Paris, ou les environs de Paris, qui est assez dynamique et en bonne santé et qui est maintenant le trésorier de l'Amicale de
Sachsenhausen: Norbert Ferraguti. Il était au kommando de Küstrin et tous les ans, on se réunissait à Richelieu. Il a cessé parce
qu'on se réunissait chez la veuve d'un camarade qui est décédé il y a maintenant longtemps et puis, sur la fin, il y avait des
désaffections et puis la veuve de notre camarade était fatiguée, elle ne voulait plus s'en occuper. Mais on a toujours des contacts
entre nous. C'est... dans le Kommando, c'est la chaleur. Pourquoi ? Parce que nous nous sommes connus pendant plus d'un an et demi,
nous nous sommes côtoyés, nous nous sommes aimés, pas haïs parce qu'on ne pouvait pas se haïr.
Voilà une lettre d'Oranienburg que j'ai envoyée à mes parents le 26 janvier 1944 pour qu'ils m'envoient des colis. Alors, c'est
moi qui l'ai écrite. C'est moi qui ai écrit l'adresse de mes parents, mon nom, mon matricule et au verso, c'est un interprète qui
signalait que j'étais dans un camp de travail à Küstrin : «Konzentration Lager Oranienburg, près de BERLIN, block K.U, Dauba René».
Ca, c'est moi qui l'ai signée mais... J'ai signé et j'ai mis l'adresse de mes parents. Je vais vous faire voir un modèle de lettre
qu'on était autorisé à envoyer. C'est très succinct. [il cherche dans une boîte] Ah, ça c'est un camarade avec lequel je travaillais
à la Trésorerie Générale qui m'a écrit en juin 1944. Elle arrivait de Dantzig. Donc, à partir de juin 1944, on n'a plus reçu de
courrier parce que tout était coupé, mais lui, il était S. T.O. à Dantzig, alors c'est arrivé. »
L'étudiante: «C'est rare que les déportés aient pu recevoir autant de correspondance. »
R.D :: « Oui. Lui, il était S.T.O., alors il était libre. Il écrivait de Dantzig. »
L’étudiante : « Ces traits noirs là [sur la lettre de son ami] ils ont été faits par les Allemands ? »
R.D :: « Oui. Oui. Ca, c'est la censure. [il cherche dans ses souvenirs] Alors, ça c'est une lettre que j'ai écrit le 10
février 1944... non le 24 novembre 1944 ou 1943, le 24 novembre 1943. Elle est arrivée le 21 février 1944 à Mont-de-Marsan. C'est
ma sœur qui l'a gardée. Et elle est écrite en français, ce qui est rare, alors entièrement en français. Voilà les cartes que nous
étions autorisés à envoyer. On avait une distribution de cartes comme ça tous les deux mois je crois. Ca n'a pas duré longtemps
L'étudiante: «Les colis, vous ne les receviez pas en entier ? »
R.D :-: « [rires] Et pas tous. Et pas tous. Moi, j'ai des parents comme tous les parents qui se sont privés parce qu'il faut
dire qu'il n'y avait pas grand chose à manger en France et ils se privaient pour nous envoyer à manger. Alors voilà une autre lettre
qui a été... On faisait un brouillon et c'était l'interprète qui était un détenu comme nous, un déporté comme nous mais qui l'écrivait.
Moi, je signais et je mettais l'adresse de mes parents. Voilà le type de lettres qu'on envoyait. »
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