De Charleville jusqu'à Bordeaux, je pense qu'on a dû rester en train. Alors en train, c'était encore des wagons à bestiaux
malheureusement et puis je n'avais plus de force, je n'avais plus grand chose. On nous distribuait des colis presque dans toutes
les gares à telle enseigne que je suis arrivé chez moi avec peut être cinq ou six kilos de victuailles que personne n'a mangé parce
que personne n'osait manger quelque chose que j'avais porté alors que j'étais atteint du typhus. Je suis arrivé chez moi après une
nuit passée à Bordeaux où nous étions accueillis par des scouts à la gare de Bordeaux-St Jean. Et, on nous a amené dans un établissement:
en sortant de la gare St-Jean, on prend le Cours de la Marne, il y avait un établissement sur la droite de suite qui était réservé à
l'accueil des rapatriés qu'ils soient déportés, prisonniers ou éventuellement S.T.O on a passé la nuit là et le lendemain, je suis
reparti à Mont-de-Marsan. Et j’ai eu le plaisir bien sûr de retrouver ma famille, ma mère, ma sœur, mon père (je ne l’ai vu que
le soir parce qu'il travaillait) et mon frère. Je ne vous en ai pas parlé mais moi, je suis parti et l'ai été arrêté le 14 mars
1943 et mon frère a quitté Mont-de-Marsan quelques jours après moi. il a réussi son passage lui. Il a été interné en Espagne, il a
été interné pendant trois-quatre mois en Espagne. De l'Espagne, il a gagné le Portugal , du Portugal, l’Afrique du Nord et de l’Afrique
du Nord, l’Angleterre. Il était dans les Forces aéronavales, il était pilote dans les Forces aéronavales en Angleterre. Donc, mon
frère n'est pas venu m'accueillir parce qu'il n'était pas encore rentré d'Angleterre mais moi, j’ai été accueilli par maman, ma sœur,
mon père le soir. Et puis, je suis arrivé chez moi et je suis resté au lit pendant trois semaines et là, au lit pendant trois semaines
avec le typhus, des pointes de température jusqu'à 40° C, à ne manger que du bouillon: une cuillère à soupe pendant quelques jours,
plusieurs fois par jour mais pendant quelques jours. Et puis petit à petit, au bout d'une dizaine de jours quand la fièvre a commencé
à tomber. j'ai été autorisé à boire une tasse de bouillon ce qui fait qu'après mes trois semaines, mon typhus est parti et moi, j'ai
commencé à sortir. Je n'étais pas «jojo ». Je suis rentré, je pesais 46 kilos pour lm76. Ce n'est pas beaucoup, hein ? Mais 46 kilos
pour lm76. Pendant ma période de mon retour chez moi, j'ai été visité par trois médecins: mon médecin de famille, il y avait un médecin
militaire qui venait tous les jours et un médecin du ministère des Prisonniers et des Déportés. Pourquoi ? Parce que, à Mont-de-Marsan,
j'étais un cas: un typhus. Il n'y a pas eu beaucoup de typhus à Mont-de-Marsan, j'étais peut être le seul, je n'en sais rien. Je suis
donc arrivé à Mont-de-Marsan avec mon typhus mais aussi avec la mauvaise nouvelle: pour apprendre que Paul Cassou avait été abattu.
Alors, c'est mon père qui s'est chargé de prévenir la famille et puis après, bon... j'ai été pendant très longtemps en contact avec
la famille parce que je revoyais Mme Cassou, M. Cassou assez souvent. Et quand j'ai repris mon travail au mois de septembre 1945, à
la Trésorerie Générale, j'ai retrouvé dans le service où je travaillais, le service des pensions, la soeur de Paul Cassou qui était
elle aussi employée à la Trésorerie Générale. Je n'ai pas repris mon service de suite à la Trésorerie Générale parce que le ministère
des Prisonniers et Déportés m'a envoyé pendant deux mois, deux mois et demi, pour me «requinquer » dans le Massif Central au
Mont Dore. Et je suis parti là, dans un hôtel qui avait été réquisitionné par l'armée au bénéfice des déportés, des prisonniers, mais
aussi des combattants des Forces Françaises Libres parce que, quand la guerre a été finie, les gars qui étaient en Angleterre ont été
rapatriés, il y avait toutes sortes de combattant à 1'hôtel Métropole, au Mont-Dore. Et là, pendant deux mois, deux mois et demi,
ça a été la vie de rêve parce que nous ne faisions rien. Nous étions nourris, logés, pas blanchis mais presque. C'était ce qui m'a
permis de reprendre mon travail assez vite.
Des séquelles de la déportation, j'en ai encore, vous pouvez l'imaginer parce que nous en avons tous. Mais j'en ai surtout eu
deux ou trois ans après mon retour de la déportation. Je suis rentré, je pesais 46 kilos, j’étais boursouflé, j’étais soufflé pendant
quelques mois après, j'étais enflé - c'était de l’œdème - mais, surtout, j'ai eu de gros problèmes intestinaux avec des ulcères à
l'estomac, des alternances de constipation et de diarrhées parce que tout l'organisme qui avait souffert pendant deux ans en subissait
les conséquences. Et depuis des années, je dirais, je me sens bien, totalement bien depuis que j'ai pris ma retraite il y a 20 ans,
c'est peut être plus de soucis de ma fonction puisque j’ai terminé comme contrôleur divisionnaire dans le Service du Trésor, ou du
moins de l'Impôt. J'ai commencé comme auxiliaire, j'ai fait une carrière tout à fait normale. Et pendant une dizaine d'années, après
mon retour de déportation, j’ai eu de sérieux problèmes. Petit à petit, ces problèmes n'ont pas été éludés mais ils se sont
atténués. J'ai encore des problèmes et actuellement, le plus gros problème, c'est un problème d'arthrose et de rhumatisme, c'est
pourquoi je fais des cures à Amélie les Bains depuis 1976. J'en suis à ma 33ème. C'est peut être ça qui me permet de ne pas être
trop... trop invalide disons. Parce que le curieux, ce qui doit vous frapper chez les déportés : je pense à Chataigné, je
pense à Ducos, je pense à moi-même, voyez trois gaillards. Pourquoi ? Parce que, peut être, nous étions costauds, c’est ce qui
nous a permis de résister : de résister avant notre déportation, de résister pendant notre déportation et puis de résister après.
J’ai beaucoup de camarades qui sont morts depuis : Roger Lapios dont je vous ai parlé est décédé deux ou trois ans après son
retour de déportation d’un infarctus, il était sur le terrain de rugby ; Paul Cassou donc a été abattu et André Labeyrie, le
plus jeune des quatre est décédé maintenant, il y a une dizaine d’années. Je suis, sur les quatre camarades qui étaient dans le même
groupe, je suis le seul sur pied, j’espère encore rester… Voilà.
Après mon retour, comme je connaissais ma fiancée, je me suis marié et depuis 1946, j'habite Bordeaux. Pas ici. Ici, j’habite depuis
1956. Mais ma fiancée - qui est devenue ma femme bien sûr - avait ses parents qui habitaient rue Cazemayoz et nous avons fait construire
ici en 1956. Nous avions à l’époque trois enfants : une fille qui est née en 1950 - d'un commun accord d’ailleurs ; c’est
une parenthèse mais avec ma femme, nous avions décidé d’attendre avant d’avoir des enfants. Nous nous sommes mariés donc en 1946 et
nous avons attendu quatre ans. Notre fille est née en 1950, puis un garçon est né en 1953 et l’autre garçon en 1955. Ma fille aînée
habite Caudéran, mon fils (le dernier) habite Caudéran ; mon fils, je le vois tous les jours, ma fille pratiquement plusieurs
fois par semaine. Le deuxième, il est dans la région parisienne, il est marié avec une Anglaise ; alors lui, je ne le vois pas
souvent. Je le vois à Lacanau quand les garçons veulent faire du surf, ils viennent à Lacanau. Nous nous sommes mariés donc en
1946. On a attendu d’un commun accord que j’ai retrouvé une meilleure santé. J’avais passé le concours de commis après mon retour
de déportation et j’ai passé le concours de contrôleur le premier en 1954, j’ai été « rétamé », le deuxième en 1955 et
j’ai été reçu. Il y avait un concours pour 220 places en France et 3000 candidats, pas de poste en Gironde. J’ai été affecté donc
dans le Pas de Calais. Dans le Pas de Calais donc, je suis parti pendant cinq mois tout seul puis ma femme est venue me rejoindre
avec les enfants quelques temps après et puis voilà.
Depuis 1956, j’habite ici, depuis 1977, j’ai pris ma retraite. Il y a 5 ans, j’ai perdu ma femme.
L'étudiante : « Avez-vous fait de la résistance dans le camp? »
R.D :La résistance dans le camp ? Parce que c’est quelque chose… Moi, je n’ai pas connu çà, je n’ai pas connu çà, même
à Buchenwald. On parle beaucoup de la résistance de Buchenwald, de la libération du camp par les détenus eux-mêmes. Je ne suis
pas sceptique. Je crois ce que je vois. Je n’ai connu la libération de Buchenwald puisque j’ai évacué Buchenwald trois jours avant.
Par conséquent, le 11 avril 1945, je n’y étais pas. Mais, il est sûr qu’il y a des camarades qui ont fait quelque chose, qui ont
réussi, en travaillant dans des usines de fabrication de matériel de guerre, des camarades qui travaillaient dans le Kuslof qui
était un Kommando où on fabriquait des fusils, l'armement de guerre, qui ont réussi à passer les armes, à les confectionner à l'intérieur
du camp, à les passer par morceaux, à les confectionner. Et il paraît que le 11 avril, il y a des groupes qui étaient armés et qui
ont libéré le camp. C'est peut être possible. Mais on dit beaucoup de choses là- dessus. Moi, personnellement, je ne vois pas comment
des camarades ont pu passer des pièces ou des canons de fusil, ou des crosses de fusil, des barillets, ou des balles... C'est peut
être possible. Mais enfin moi, je ne l'ai pas vu, alors je ne peux pas infirmer ou affirmer.
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