ENTRETIEN AVEC René DAUBA

le 24 novembre 1999 à Caudéran à 10 heures.
Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Une fois la quarantaine terminée à Sachsenhausen, nous étions immatriculés, j'avais le n° 66.630 et nous avons été affectés à un kommando. C'était classique: on arrivait au camp, la discipline (les rudiments de la discipline) et on était affecté à un kommando. J'ai été affecté au kommando de Küstrin. Kustrin est une ville fortifiée au confluent de la Wartha et de l'Oder qui n'est plus en Allemagne maintenant, c'est en Pologne. Ca se situait à peu près à peut être 100 ou 150 kilomètres au nord est de Berlin. Et nous; étions affectés, enfin j'étais affecté dans une usine qu'on peut comparer ici à une usine de la cellulose du pin, des usines où l'on traite le bois. Qu'est-ce que l'on faisait à l'intérieur de l'usine? On ne l'a jamais su. Notre kommando, nous étions affectés à la construction du bâtiment de béton, etc... et puis ensuite au déchargement du bois, du bois arrivé par wagons, par péniches. Je crois que je l'ai dit déjà mais Küstrin est située au confluent de la Wartha et de l'Oder et arrivaient là des péniches de bois qui venaient du nord, qui venaient de Finlande, qui venaient de Suède; des wagons qui arrivaient de je ne sais où, peut-être d'Allemagne ou d'ailleurs, peut-être de France. Et nous déchargions ces wagons en pleine nuit comme en plein jour. Le travail de toute façon se faisait de la pointe du jour au coucher du jour. En pleine nuit, lorsqu'il arrivait des péniches ou des trains, nous étions appelés et il fallait aller décharger. Ils ne regardaient pas si c'était minuit ou une heure du matin ou au coucher le soir assez tôt, parce que vous étiez fatigué de votre journée de travail. Mais lorsque la cloche sonnait, il fallait se lever et repartir en courant pour décharger des wagons de bois, des péniches de bois. En plein été, pas de problème: les morceaux de bois de 2 mètres de long, on avait des crochets pour les agripper et puis on les balançait par dessus le wagon et des camarades en bas attrapaient les morceaux de bois et allaient les porter sur des piles. Par contre, en hiver, nous étions dans l'obligation de décharger des péniches où les bois étaient inclinés et c'était des morceaux de bois, des rondins de bois qui faisaient 5 à 6 mètres de long. Pour les attraper, lorsqu'on montait avec nos « godillots » en bois, lorsqu'on voulait monter à l'extrémité du bois pour l'accrocher, on glissait, on dérapait, on pouvait se faire mal et on s'est fait mal. Il y a des camarades qui se sont faits mal. Moi, j'ai glissé, j'ai dérapé, je ne me suis jamais planté un crochet dans la figure ou ailleurs mais enfin ! Et toujours pareil: ces bois étaient descendus, posés sur le quai; d'autres camarades les attrapaient, les mettaient sur des wagonnets pour les empiler. Qu'est-ce que faisaient les Allemands avec ce bois ? De la pâte en papier sans doute et puis des dérivés. Je ne sais pas. On nous disait qu'ils arrivaient à faire de l'essence synthétique avec d'autres produits. On ne l'a jamais su parce que l'usine était immense. Mais nous. nous travaillions à l'extérieur de l'usine.

Notre kommando était à un kilomètre peut être de l'usine, enserré bien sûr, entouré de fils de fer avec des miradors et puis les sentinelles en poste toujours; nous étions gardés jour et nuit.

Pour nous rendre à notre travail. nous avions l'appel : l'appel avant le travail au kommando de Küstrin, puis après l'appel général, c'était l'appel par kommando. Moi, j'étais affecté au terrassement, mais des camarades étaient affectés à l'intérieur de l'usine pour l'entretien des machines, des tuyauteries, pour l'entretien de... que sais-je ? A 9 heures et demie, nous avions une pause - nous pouvions commencer à 6 heures en été - à 9 heures et demie, nous avions une pause où nous avions deux casse-croûtes pour trois. Ca, c'était classique. Pourquoi deux casse-croûtes? Parce que nous avions sur les 300 g de pain que nous avions pour la journée, il y avait un prélèvement qui était effectué: deux tranches de pain formaient un casse-croûte, on se le partageait en trois. A midi, nous rentrions au kommando. Alors, c'était l'appel en arrivant au kommando, c'était l'appel pour repartir du kommando, l'appel pour repartir du kommando pour aller déjeuner. Lorsque nous arrivions au kommando pour aller déjeuner, c'était l'appel et nous avions droit à ce moment là à un litre de soupe, laquelle soupe était toujours constituée de rutabagas, sauf le dimanche où on ne travaillait pas - quelques fois le matin - mais on ne travaillait pas le dimanche après-midi. Jamais je ne me souviens pas qu'on ait travaillé le dimanche après-midi. Nous avions donc un litre de rutabagas tous les jours de la semaine, nous avions environ 250 g de pain, ce qui restait après la ration de 300 g et le prélèvement pour le casse-croûte. Le repas du soir donc se faisait avec le reste de pain (250 g environ de pain), un carré de margarine et une tranche de vourche (le vourche, c'est une charcuterie, une ersatz de charcuterie ). Et c'était notre alimentation du 1er janvier au 31 décembre. [silence]

Fin décembre, nous avons commencé à recevoir des colis de la famille. fin décembre 1943. Parce que nous sommes arrivés sur le kommando - je ne vous l'ai pas dit ça - mais nous sommes arrivés sur le kommando les premiers jours de juin 1943, affectés de suite au travail. Et dans le courant des mois de juillet-août, nous avons été autorisés à écrire à nos parents, à notre famille, parce que j'étais parti avant le 14 mars 1943 de Mont-de-Marsan. J'avais réussi à faire passer des nouvelles de St-Jean-Pied-de-Port, à faire connaître à mes parents que j'avais été arrêté, mais depuis mars 1943, ils n'avaient plus de nouvelle si ce n'est qu'aux mois de juin-juillet, on nous a autorisé à écrire des cartes et fin décembre, c’est à dire quelques jours avant Noël, on a commencé à recevoir nos paquets. Inutile de vous dire que les paquets étaient les bienvenus; cela faisait quand même 6 mois-7 mois que nous avions un régime de misère, c'est tout. Et puis, les paquets ont commencé à arriver parce que nos parents, ma fiancée - je n'étais pas marié à l'époque mais je connaissais ma femme - faisaient des paquets et les envoyaient régulièrement. lis n’arrivaient pas tous mais il m'est arrivé... Pour la période de fin décembre 1943 à mai-juin 1944, j'ai dû recevoir une dizaine de paquets. Pourquoi mai-juin 1944 ? Parce qu'après le débarquement le 6 juin 1944, tous les convois ferroviaires avaient une priorité pour le domaine militaire, mais le reste... ça ne comptait plus. Donc pendant 6 mois-7 mois, on a reçu des paquets qui nous ont bien aidé. Qu'est- ce qu'on faisait de ces paquets ? Il y a des camarades qui n'en recevaient aucun, nous les partagions. On faisait un prélèvement et on mettait quelque chose de côté pour des camarades qui n'en recevaient pas. Dans mon kommando, nous étions un majorité de Français, mais il y avait des Polonais, des Norvégiens, des Tchèques, il y a eu des Belges, des Hollandais et surtout parmi les Tchèques ou les Polonais, il y en a qui ne recevaient rien, les Polonais surtout. Et toujours nous mettions, nous faisions un prélèvement pour en faire profiter nos camarades. Parce que ce qu'il faut dire surtout c'est qu'il y avait une très grande solidarité, je pense que tous mes camarades vous le diront, parce que... Pourquoi ? Nous n'avions rien, pas grand chose ~ nous étions tous logés à la même enseigne: l'ouvrier, l'intellectuel, le communiste ou le prêtre, nous étions tous habillés de la même manière, nous avions un numéro et on était obligé d'obéir aux mêmes lois, aux mêmes commandements. Ce qui fait que la solidarité était très grande, très grande et puis, elle a duré jusqu'à la fin de la guerre. Après, après la guerre, cela a été autre chose. il ne faut parler que de la guerre et de la déportation.

Je suis resté dans de kommando jusqu'en janvier 1945. Pourquoi ? J'ai oublié de vous dire quelque chose. Paul Cassou que j’avais retrouvé à Compiègne, qui avait été arrêté par les Espagnols, qui l'avaient remis aux Allemands, Paul Cassou a toujours été dans mon kommando. Nous sommes partis de Küstrin jusqu'à Briesen dans le courant de janvier 1945 parce que l'armée russe avançait, Varsovie avait été libérée et fin janvier - début février, les Russes avançaient et n'étaient pas loin de nous. On entendait la canonnade ! Mais les Allemands ne voulaient pas nous laisser libérer dès maintenant. ils voulaient sans aucun doute nous exterminer tous parce que, mes camarades ont dû vous le dire, c'était les consignes qu'ils avaient reçues. Ils n'ont pas pu le faire heureusement! Et nous avons gagné un kommando fin janvier 1945 par une température de -25°C, on a fait une trentaine de kilomètres comme ça. Et chose curieuse, il n'y a pas eu... il y a eu des traînards mais il n'y a pas eu un coup de fusil, il n'y a pas eu un camarade qui ait été tué ce jour là. Et à Briesen qui était encore un kommando de Sachsenhausen, nous avons été encore éclatés : certains camarades sont partis vers Neuengamme, d'autres sur Dachau, d'autres sur Buchenwald. Je fais partie de ceux qui sont allés sur Buchenwald avec plusieurs camarades de mon kommando de Küstrin. Nous sommes partis sur Buchenwald où nous sommes arrivés le 2 février 1945, c'est à dire l'avant-veille de mon anniversaire puisque j'avais 23 ans 48 heures après. A Buchenwald, nous avons été immatriculés. J'avais le 66630 à Sachsenhausen, J'ai hérité du 86606. C'est curieux parce que j'avais trois 6 à Sachsenhausen, j'avais trois 6 à Buchenwald. Est-ce que c'est ça qui m'a porté chance ?