Témoignage André Jolit (Suite). |
Retour | Page précédente. | Effectifs | Photos |
Quant il a été investi de responsabilités importantes par Dumas, "Marc" s'est entouré d'une parfaite discrétion, gage de sécurité et de sûreté, d'un mouvement nouvellement créé pour remplacer en grande partie ceux existants depuis longtemps, mais décimés par la trahison. "Legrand", son agent de liaison qui le rencontrait chaque jour, ne connaissait rien de lui, pas même son domicile.
L'ayant contacté au début avril 1944, venant des maquis de Corrèze, pour organiser la Résistance en Nord-Gironde, nos relations, toujours courtoises, se sont traduites par des échanges d'ordres et de compte-rendus. Nous connaissions, l'un et l'autre, l'intérêt vital à ignorer le maximum de renseignements n'ayant aucun rapport avec la mission, par exemple, la famille, le domicile, le passé, etc..., qui pouvaient être révélés au cours d'un interrogatoire ennemi agrémenté de tortures et mettre en péril nos camarades. C'était un peu contre nature et assez éloigné de nos tempéraments.
En le rencontrant, chaque semaine, dans des lieux et heures différents, pendant environ une heure, la conversation dérivait parfois sur les grands événements de la guerre qui agitait le monde, mais aussitôt nous plongions dans la préparation des plans de sabotage, le dosage dans les actions directes contre l'ennemi afin d'éviter des représailles si coûteuses en vies humaines innocentes et souvent sans rapport avec le résultat.
Pendant cette période "discrète", j'ai su par "le Basque" que "Marc"
avait des contacts fréquents avec un major Anglais, "Aristide", (Roger
Landes), mais j'ignorais qu'il recevait ses ordres de Toulouse, et qu'il
avait d'autres contacts à Bordeaux. A l'occasion de la réception des
parachutages chez moi, dans le Blayais, et la présence à deux reprises
de Christian Campet (adjoint "d'Aristide"), j'ai pu enfin être au courant.
Nous avons toujours eu le souci de l'efficacité et de la vie de ceux
qui nous faisaient confiance et dont nous disposions. "Marc" donnait
des directives plutôt que des ordres formels, sauf pour des cas particuliers.
Il suffisait de les interpréter et de les appliquer au moment le plus
propice. Néanmoins, "Marc" voulait des résultats: que ce soit dans
les actions ou dans l'avancement dans l'organisation.
Les actions lui étaient nécessaires pour justifier les demandes qu'il
formulait pour obtenir toujours plus de moyens financiers et matériels,
afin de développer notre mouvement et conforter les acquis.
J'ai gardé de ces années le souvenir douloureux des camarades perdus,
des combats inégaux, de cette mort en fraude qui rodait autour de nous,
car si 90% des sabotages, harcèlements, combats doivent être attribués
au Corps-franc, dans Bordeaux et la Gironde de janvier 1944 à la Libération,
la route reste jalonnée de pertes cruelles, parmi celles-ci, Grosperrin,
professeur à Blaye, oncle de "Marc", mort en déportation, André Danglade
(Dréan) et Jean Mouchet, blessés et capturés au cours de l'affaire Renaudin,
et bien d'autres inscrits au martyrologe du Corps-francs.
"Marc" sent que le piège se referme inexorablement. Il se sépare de
"Legrand" qui part chez "La musique" à Reignac de Blaye, le 14 juillet
1944 et dans la semaine suivante, c'est au tour de l'équipe d'André
Bouillar (le Basque) de rejoindre le Blayais. Les activités redoublent
avec le cortège des périls. "Marc", sollicité pour nous rejoindre refuse.
La trahison aura raison de lui et le 27 juillet il est arrêté, désarmé
et emmené au siège de la Gestapo.
Les Allemands jubilent, ils tiennent enfin celui que le général Koening,
chef des F.F.I, désigne comme le 1er résistant de Bordeaux, mais leur
joie sera de courte durée, car sortant une arme bien dissimulée, il
fait feu sur ses geôliers qui, par instinct, ripostent et le tuent.
Ainsi il échappe à ses bourreaux et par cette sortie remporte son
ultime victoire.
Voilà, Mesdames et Messieurs, comment en quelques mots, j'ai essayé,
par une approche très incomplète, de vous présenter le parcours héroïque
de Lucien Nouaux, mon chef. Après un demi siècle, les mêmes sentiments
qui nous ont animés restent toujours présents dans le coeur de ses amis.
Je voudrais terminer par quelques propos sur l'oubli, et aussi par une
note d'espoir.
Après la Libération, on a pu voir, au grand jour, sur le devant de la
scène publique des chefs prestigieux et d'autres qui l'étaient moins
mais s'en donnaient l'apparence. Cela n'a pas servi la Résistance.
"Marc" mort fin juillet n'éveillait pas beaucoup l'intérêt des nouveaux
venus. La comparaison des mérites respectifs et des actions réalisées
sur le terrain a été si disproportionnée, que l'on a préféré occulter
au maximum les actions déterminantes menées par des centaines d'hommes
que "Marc" commandait jusqu'à sa mort, voire de les imputer à d'autres.
Cette injustice a perduré au cours des décennies et les efforts de ses
camarades de combat, pour le mettre à la place qui lui était due se
sont avérés vains. La lassitude et les fatigues de l'âge ont eu
raison de leur courage. Sans l'action de l'amicale du corps-francs
"Marc", l'oubli ayant fait son oeuvre, il ne resterait de "Marc" qu'une
tombe parmi d'autres.
Lucien Nouaux s'inscrit sur la longue liste des femmes et des hommes
de Cestas, qui ont donné leur vie afin que nous puissions retrouver
la liberté confisquée, si chèrement acquise au cours de notre histoire.
C'est une particularité de notre peuple, du peuple de France quand tout
espoir semble avoir disparu.