Témoignage André Jolit. |
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Monsieur le Maire, Mesdames, Messieurs,
C'est avec un peu d'inquiétude que je dois porter témoignage sur la courte vie de Lucien Nouaux "Marc" qui repose ici à Cestas.
Il était mon chef; les dangers partagés, les sentiments encore présents ne facilitent pas l'objectivité recherchée, le caractère secret de nos relations non plus.
Jusqu'à son engagement dans la Résistance, la vie de Marc ressemble à beaucoup de jeunes Français de cette époque, studieux, imprégnés par les valeurs reconnues et par les principes républicains enseignés dans les familles et à l'école.
Son passage au collège de Talence de 1939 à 1941 a été commenté par son professeur d'histoire et de géographie, monsieur Marc Belaud au cours d'une cérémonie à ce collège. Je lui cède la parole. "Né à Bayonne le 14 novembre 1921, Lucien Nouaux fréquenta notre établissement, où il préparait le Brevet Supérieur de 1939 à 1941, grand, mince, le teint blême, d'apparence calme et sérieuse, il avait le regard brillant et loyal! D'intelligence fine et prompte, le coeur sensible et bon, c'était une nature d'élite.
Riche de connaissances littéraires, il s'exprimait avec aisance et autorité, et exerçait sur ses camarades une influence qu'il me fut souvent donné de constater. Tous l'aimaient et l'admiraient, rendant hommage, à leur insu peut-être, à une supériorité morale qui les dominait. Chargé de l'enseignement de l'histoire et de la géographie, à cette classe dont j'ai gardé le meilleur souvenir, j'avais pour Nouaux une sorte de prédilection."
"Que de fois, au cours de nos leçons qui prenaient souvent la forme d'un entretien entre maître et élève, j'ai sollicité plus particulièrement ses opinions, toujours marquées au coin d'un solide bon sens, et présentées sous une forme à la fois originale et convaincante".
"Il nous arrivait parfois d'aller faire l'école buissonnière, hors du domaine de l'histoire et de nous entretenir de littérature contemporaine. Nouaux redoublait d'intérêt et j'étais frappé à la fois de ses connaissances, de la sûreté de son goût et de la rectitude de son jugement".
"Mais ce qui le passionnait surtout, c'étaient les moments défendus, ceux qu'à chaque leçon nous consacrions aux nouvelles du jour. Que de crimes de lèse-majesté nous avons commis ensemble, élèves et maître dans cette salle où régnait comme une atmosphère de clandestinité: commentaire de la radio de Londres, évocation de la haute figure de de Gaulle, exactions des occupants, torture des juifs, opprobre sur le régime vichyssois et l'esprit collaborateur, opérations militaires, nous abordions tous les sujets".
"Alors, le visage de Nouaux prenait une expression saisissante. Son regard s'allumait, trahissant la flamme intérieure qui le dévorait et ses propos jaillissaient avec une verve inouïe.".
"Il avait en lui l'étoffe d'un chef, d'un animateur à qui les circonstances allaient permettre de se révéler. Il donna vraiment l'exemple du dévouement patriotique le plus pur et le plus chevaleresque".
Ayant été reçu à un concours, il entra comme jeune stagiaire dans l'administration des contributions indirectes en 1941. Nouaux était jugé par ses camarades comme enclin à la "poésie" et aux arts. Sa nomination de contrôleur en 1942 à Angoulême l'assurait d'une carrière sans risques et pourtant, avec quelle ardeur, il va se jeter dans la mêlée (cf: livre d'or de l'ordre de la croix de la Libération).
Plusieurs tentatives pour le franchissement de la frontière espagnole échoueront. A l'occasion d'un séjour à Toulouse, il entre en contact avec le journaliste Pierre Dumas, "Saint Jean" dans la Résistance, qui, grillé à Bordeaux où il était chargé de la réorganisation de la région bordelaise par le M.L.N, s'est replié sur Toulouse.
Nouaux devient "Marc" et collaborateur de Pierre Dumas. Pierre Dumas était membre du directoire de la région de Toulouse et secrétaire général des M.U.R (Mouvements Unis de la Résistance). Pour poursuivre sa mission sur Bordeaux, Pierre Dumas envoie Marc en janvier 1944. Quelques jours après, il le fait rejoindre par son propre agent de liaison Marc Guichard dit "Legrand".
Au premier mai 1944, Dumas renforce encore "Marc" par une équipe de choc venant de Tarnos et dirigée par André Bouillar, alias "Le Basque", le contact sera maintenu entre "Marc" et Dumas par "Legrand" qui assurera une liaison tous les 15 jours.
Son état-major constitué, "Marc", qui a pris André Danglar "Dréan", enseignant, comme adjoint, peut se consacrer davantage à l'organisation. De nombreux groupes d'actions ont été ainsi créés avant le débarquement, répartis géographiquement de Soulac (Ney) à Bois-Redon (Robert), en Charente. Certains directement animés par "Marc" et son E.M, quelques autres regroupés sous les ordres d'un seul responsable (ce fut le cas en Nord Gironde où je disposais d'une dizaine de groupes bien encadrés).
Alban Bordes "Georges" avait aussi plusieurs groupes sous son commandement, . mais il semble qu'il avait une certaine indépendance vis à vis de "Marc". Néanmoins, ils travaillaient en liaison constante et Alban Bordes avait la responsabilité des dépôts communs d'armes à Bordeaux.