ENTRETIEN AVEC RENE DUPAU
Le 3 Novembre 1999 à Caudéran à 14 heures
Mémoire de Stéphanie Vignaud
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Le 5 mai 45, tous les déportes Juifs, qui étaient encore vivants,
etaient séparés de nous, soit disant pour aller à Thereneustadt; c'était un lieu où ils devaient rassembler les Juifs. Je ne sais
si Thereneustadt existait mais c'est là le nom extrait de mes notes, notes que j'ai réussi à sauver. Le 8 mai, ça a été la dernière
étape. Nous ne pouvions plus marcher, c'était terrible. Nous étions déjà en Tchécoslovaquie.
Puis, vint un moment où l'on ne nous pressa plus. Un des gardiens donna un coup de bâton à un déporté. Un sous-officier gardien
(un de nos gardiens) ordonna au coupable de jeter ce bâton. Là, je me suis dit: " Tiens, serait-il nouveau d'être interdit de nous
frapper ? " C'était le cas et il a fait jeter toutes les matraques de tous ceux qui en avaient. Donc, on a senti tout de suite
qu'il se passait quelque chose d'important. On a croisé à un moment donné dans l'après-midi des prisonniers de guerre français
qui nous ont dit:
" Vous en faîtes pas les gars. La guerre se termine ce soir à minuit et les russes vont signer l'accord avec les allemands. A minuit,
vous serez libérés. "
On n'y croyait plus parce que depuis le temps qu'on disait ...Mais on a quand même fait encore je ne sais pas combien de kilomètres.
On est arrivé à l'entrée de la nuit dans un village qui s'appelle Languenau. Il s'appelle maintenant Skalice parce que ça faisait
partie des Sudètes. Les Sudètes, c'est une partie de la Tchécoslovaquie qui a été annexée par les allemands. Ils avaient débaptisé
tous les noms et mis des noms allemands. Là, ils avaient donné le nom de Languenau. Quand ça a été la libération, les tchèques
se sont empressés de rebaptiser avec le nom de Skalice. Ca s'écrit Skalice maintenant. Voilà.
D'habitude on nous mettait sur la route au petit jour. Là, il faisait grand jour et on n'était pas reparti. On était enfermé à
l'étage, au premier étage d'une verrerie, désaffectée d'ailleurs. Alors moi, j'ai mis le nez à la fenêtre: stupéfaction! J'ai vu
les gardiens enlever leurs écussons. Alors, j'ai dit:
" Eh, il se passe quelque chose! " Alors tout le monde est arrivé, a regardé aux fenêtres. Mais on
en est parti parce qu'on redoutaitait les réactions qu'ils pouvaient avoir. On ne s'est pas précipité dehors, croyez-moi ! A un
moment donné, leur commandant est arrivé. Il les a fait mettre en rang et, chose qui nous a surpris, ils ont mis baïonnettes au
canon. Alors là, on a dit
" Ca, c'est notre fin "
On a pensé qu'ils allaient nous exterminer à coups de baïonnettes. On ne savait pas trop ce qu'il allait se passer. En fait, non.
C'était tout simplement pour rendre les honneurs. Et après, une fois que les honneurs ont été rendus, le commandant a donné des
ordres. On n'entendait pas ce qu'il disait parce que les vitres étaient fermées. Il a fait ranger les armes dans un appentis. Mais,
certains de nos gardiens ont refusé de déposer les armes. Après s'être servis dans les remorques que nous tirions depuis x temps,
d'où ils ont tiré des saucissons, ils ont pris tout un tas de trucs.. Et nous, nous étions en train de crever de faim!
Quand ils ont voulu sortir, des coups de feu ont éclaté. On ne savait ce qu'il se passait. Des gardiens furent refoulés. Mais
certains réussirent à passer. C'était terrible là. C'était les partisans qui, le soir, la veille au soir, avaient encerclé la verrerie.
En fait, on a été libéré par les partisans. Alors le commandant allemand s'est rendu avec ses soldats qui voulurent bien se rendre.
Les partisans, méfiants, n'ont pas voulu rentrer tout de suite dans l’enceinte de la verrerie. Ils se sont dits:
"Il y en a encore certainement ".
Alors, un partisan tchécoslovaque a appelé. Comme nous avions avec nous des tchécoslovaques, ils répondirent aussitôt:
" Vous pouvez venir, il n'y a plus de S.S "
Alors bon, ils sont arrivés tout de suite. La première chose que j’ai vue qui m'a frappé, c’est une femme, une femme avec un brassard
et une mitraillette en espèce de camembert. Ca, ça m'a étonné, une partisane quoi. Alors, ils nous ont surtout demandé de ne pas
sortir parce qu'il y avait des allemands camouflés. Ils se défendaient encore. Ils se sont battus toute la journée du 9 mai.
Nous n'avons pas été libérés le 8 mai car l'armistice n'a été signée avec les russes que le 9 mai. Voilà, on a été libéré que le
9 mai. Voilà pourquoi les russes fêtent l'anniversaire de la fin de la guerre le 9 mai et non pas le 8. En effet, ça pétaradait
tout autour et il n'était pas question de partir.
Malheureusement, deux camarades, dont un breton, sont morts le soir parce qu'on ne pouvait pas les évacuer, parce que les voies
de chemin de fer avaient sauté. Les routes étaient encore infestées de S.S qui défendaient leur bout de gras, là. Nous n'avons vu
les russes que le soir du 9 mai. On a vu arriver les russes parce qu'ils étaient surtout occupés à Prague, pour libérer
Prague. Nous avons été évacués le surlendemain, je crois , le II mai. Le II mai, nous avons été hospitalisés à Prague. Ca, parce
que le soir du 9 mai, on a reçu la visite d'un gars de la Croix Rouge (enfin, il avait la cocarde de la Croix Rouge) ; c'était un
tchécoslovaque. Il nous a dit:
" Vous ne sortez pas. On va vous évacuer. Mais on va d'abord vous hospitaliser à Prague parce que vous en avez tous besoin. Pas
question que vous partiez comme ça ".
Nous étions 160, je crois, parce qu'il y en a qui sont morts le soir encore. Je me rappelle même qu'ils étaient deux frères: l'un
disait à l'autre:
" Ecoute, réagis! On est libéré! On est libéré!"
Mais il était épuisé. C'était fini.
A Prague, nous avons été très bien soignés. Vraiment là. Nous avions cinq petits repas par jour pour refaire notre estomac. Voyez.
Mais il paraît qu'ils m'ont pesé à mon entrée. Ils nous ont tous pesé d'ailleurs. je pesais, moi, 37 kilos. J'en pesais 74 quand
j'ai été arrêté. C'est pour vous dire, voyez, qu'on avait consommé même nos muscles. C'était quelque chose d'affreux, quelque
chose d'affreux: même nos muscles. On n'avait plus rien tellement que le squelette s'était dégradé.
Ensuite, j’ai été rapatrié, toujours avec mon ancien chef de groupe, le II juin... non, le 9 juin. Je suis arrivé à Lyon par avion,
parce qu'on a été rapatrié sanitaires, parce que nous étions quand même pas encore en bonne santé; et après, nous avons pris le
train pour Bordeaux et de Bordeaux jusque dans les Landes. Là, j’ai été accueilli à la garde Rion Les Landes par un camarade qui
faisait partie de notre groupe: M. Moliets. Ca a été très vite fait parce que quand on est arrivé à Bordeaux, il y avait très peu
de trains pour Dax ou alors il fallait attendre deux ou 3 heures, je ne sais pas combien. Alors, les cheminots se sont débrouillés
pour nous faire monter tous les deux, puisqu'on était tous les deux des Landes, dans un train de marchandises, avec la locomotive,
avec le conducteur de la locomotive, qui nous a descendu à Rion Les Landes. Là, les cheminots avaient dû téléphoner, je ne sais
pas, il y avait une de mes tantes qui était là et puis M. Moliets qui était devenu chef de réseau après mon arrestation.
Alors ça a été dramatique. Quand on est arrivé à la maison, ma mère savait que j’étais vivant. Pourquoi? Parce que, à l'hôpital
de Prague, on avait relevé nos identités, les adresses et régulièrement, il paraît que la radio diffusait le nom des rescapés.
Et il y a eu une femme qui se trouvait dans le nord des Landes qui a entendu mon nom. Elle a pris sa bicyclette et elle a fait
quand même 60 kilomètres pour aller prévenir ma mère que j'étais vivant. C'est formidable. Hein ?
Alors ma mère s'est évanouie en arrivant. Il y a eu un flottement, là. Le médecin est venu et il a dit à ma mère:
" Si, dans six mois, il est encore là, alors, il est sauvé. Mais pour le moment, je ne peux rien dire. "
Alors, j’ai été nourri à coups de vitamines qu'il y avait à l'époque. Vous savez, c'était pas ...Surtout, tout ce qui était fruits
frais, les tomates, les premières tomates, enfin, etc... Mais j'ai très vite repris quand même. Déjà, à l'hôpital de Prague, j'avais
repris des kilos, mais ça, ça ne faisait pas tout parce que... Et puis, ça a été très dur de se réadapter à la vie civile.
Je faisais des cauchemars la nuit. C'était épouvantable ça. Ca a duré longtemps, ça a duré même après mon mariage puisque je me
suis marié un an et demi après. Et même après le mariage, ma femme me disait:
" Mais tu as encore rêvé? "
On se débattait des S.S et tout ça, des coups qu'on pouvait recevoir. Ca a été très dur. La réadaptation a été très dure et quoique
j’ai été très bien entouré par ma famille heureusement. Je n'ai pas eu besoin de chercher un métier pour gagner ma croûte là.
J'étais nourri. Ca s'est bien passé, très bien passé même.