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ENTRETIEN AVEC GUY CHATAIGNE

LE 19 NOVEMBRE 1999 à MERIGNAC à 14 heures 30

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Nous nous sommes retrouvés libres finalement sans éclat, sans passage d'un état à un autre qui nous ait fortement marqués dans l'instant. Subitement, nous étions libres, nous étions les mêmes, harassés, vidés, perclus de l'image de nos camarades qui venaient d'être massacrés dans les jours et les heures qui précédaient; mais cependant soulagés parce que libres et libres parce que nous le constations, parce qu'il n'y avait plus de S.S aux alentours et que un peu plus loin se profilaient des casques différents: casques soviétiques à gauche, casques américains là qui venaient de faire leur jonction à Schwerin, une très belle ville du Meklembourg dans le nord de l'Allemagne. Nous étions libres et nous n'avons pas manifesté d'allégresse, nous ne le pouvions pas., Par contre, tenaillés que nous étions par la faim, par la fatigue, nous nous sommes tout de suite préoccupés du parti que pouvait nous procurer cette liberté toute nouvelle pour améliorer notre ordinaire et pour nous trouver un gîte car il fallait tout prévoir désormais. Et Guy Ducos pourra vous le rapporter de son côté, à cinq ou six camarades -cinq je crois -nous nous sommes retrouvés dans une grande villa inoccupée qui l'avait été tout récemment par l'Etat-Major allemand parce que des cartes d'Etat-Major traînaient dont une ici que j'ai ramenée. Le sous-sol, lorsque nous sommes entrés, était encore occupé par des soldats allemands ivres morts qui allaient être prisonniers ou des Russes ou des Américains dans les minutes ou les heures qui allaient suivre. Nous ne nous occupions pas de leur sort. C'était le moment où bon nombre de ces soldats étaient détroussés de leur montre par certains déportés, ce n'était pas général. Pour ma part, j' ai hérité ainsi et sans le moindre remord, d'un sac à dos d'un soldat de la Luftwaffe, de l'Armée de l'Air, qui m'a été utile pour mettre mes \hardes en revenant plus tard. Nous avons donc pris position dans cette villa où nous avons vécu trois ou quatre jours en totale liberté, prenant toute initiative, gérant notre vie et ne sachant pas trop comment nous allions rejoindre la France jusqu'au jour où la propriétaire des lieux a réussi à se faire entendre d'un officier anglais et qui nous a signifié que le temps de la belle vie était fini, qu'il fallait quitter notre villa pour rejoindre une caserne. [rires ) Nous nous sommes attelés à une vieille remorque, une vieille carriole démantibulée, nous avons mis tout notre patrimoine qui était constitué pour partie des choses que nous avions rapinées pendant ces quelques jours. C'est là où j' ai pu changer ma veste rayée contre une autre, dans des conditions assez macabres d'ailleurs.

Et puis, nous fûmes effectivement acheminés dans une caserne où ne se trouvaient là que des déportés libres et où l'encadrement était assuré par des prisonniers de guerre français qui ont d'ailleurs été excessivement fraternels et très précieux pour nous. Nous n'y sommes restés qu'une nuit. Et là, nouvelle caserne, la caserne Adolf Hitler dans la périphérie de Schwerin qui était plus, spacieuse, plus moderne. Nous nous sommes retrouvés là plusieurs milliers cantonnés par les Américains qui voyaient d'un assez mauvais oeil nos sorties, nos dérapées à l'extérieur, qu'on continuait cependant de faire à leur barbe. Nous sommes allés dans Schwerin toujours à la recherche de pain, maraudant. Et c'est là, moment mémorable, à la radio, à la caserne Adolf Hitler que nous avons entendu les cérémonies de la victoire le 8 mai 1945 à Paris et notamment le Te Deum à Notre Dame de Paris. Nous entendions cela alors que nous n'étions pas encore, loin s'en fallait, sortis d'affaire du point de vue physique. Bon nombre de camarades se sont vidés, littéralement vidés. Tous les bâtiments étaient souillés, des civils allemands avaient d'ailleurs été réquisitionnés pour tenir autant que faire se pouvait les bâtiments que nous occupions. Dysenterie, alimentation peut être excessive, manque de volonté, certains sont morts d'ailleurs d'avoir trop mangé même s'ils n'avaient vraiment mangé que peu mais trop par rapport à ce qu'avait été leur régime de misère pendant des mois et des années. Puis le jour est venu où nous avons pris un train, un train allemand, un train civil brinquebalant des voitures délabrées au toit parfois ouvert par des bombardements. Et là, nous savions que nous cheminions vers la France. Et nous étions pris en charge, c'était différent, par les Anglais, par les Américains, à nouveau les Anglais -les zones étaient mal définies -par des Français parfois ce qui était l'idéal. Mais les Français n'étaient pas toujours bien pourvus, les soldats français. L'intendance désormais fut correcte: nous avons mangé convenablement, nous étions logés à la dure, pas toujours des lits, mais quelle importance? Nous savions que nous prenions la bonne direction, celle de l'ouest et légèrement sud ouest. Et, il y avait une prise en charge sanitaire: les cas les plus douloureux faisaient l'objet d'une hospitalisation ou d'un transport immédiat en avion. Guy Ducos a failli faire partie de ceux-là parce que nous nous trouvions dans un camp d'aviation; puis finalement, nous l'avons convaincu de rester avec nous, c'est d'ailleurs ce qu'il préférait et nous avons donc pu rentrer en France. Nous avons traversé le Rhin, le sud de la Hollande, vu les champs de bataille, vu les milliers de tombes avec les bérets rouges, des parachutistes qui ont été massacrés à Harnem, la fameuse bataille d'Harnem en Hollande. Nous avons atteint la Belgique. Dans tous ces pays, nous recevions un accueil fantastique. Du sud de Bruxelles, nous avons atteint assez rapidement la frontière de France où l'accueil a été encore plus délirant. Bon nombre des nôtres sont descendus des wagons pour baiser le sol de France, certains même ont quitté délibérément le train en marche -il marchait lentement - pour rejoindre leurs maisons, c'était des « Chtimi », des gars du Nord, ils habitaient là. « Salut les copains! » C'est ainsi que nous nous sommes séparés de ceux-là.

Le plus grand nombre s'est donc retrouvé, pour nous du moins, à la gare de Valenciennes qui était le centre de triage. Là, nous fûmes soumis à un contrôle d'identité voire même de police pour essayer de détecter des Allemands ou des volontaires ou des gens indésirables qui auraient pu se glisser parmi nous et il s'en trouvait. Puis, les choses ont été rapides. C'était la France, l'accueil français. Un mauvais costume dit « costume Pétain » nous fut donné, quelque argent pour faire face à des dépenses immédiates, même le luxe d'une séance de cinéma avec Fernandel. Et nous avons repris le train, nous avons repris le train, Guy Ducos toujours avec moi. Et là, nous avons résolument roulé vers le sud, nous roulions vers chez nous. Il n'y a pas eu, contrairement à d'autres déportés, de passage, d'arrêt à Paris, à 1 'Hôtel Lutétia dont nous ne connaissions pas l'existence. Dans des délais normaux, nous avons roulé vers le sud avec des haltes douloureuses à Tours, à Châtellerault, à Poitiers, à Angoulême où là, nous étions assaillis par des mères, des frères, des sœurs, des fiancées, des épouses photos en main qui nous demandaient: « Vous n'avez pas connu un tel, un tel ? » qui n'étaient pas forcément des personnes ayant été déportés dans notre camp. Car dans ces wagons, depuis Valenciennes, se trouvaient en même temps que nous des déportés français qui provenaient d'autres camps, d'autres provenances. Si bien que nous n'étions plus un groupe homogène d'anciens de Sachsenhausen. Et à Châtellerault, j'ai eu personnellement une épreuve que je n'ai pas sur surmonter: je me suis trouvé en présence de la mère d'un jeune camarade dont je savais qu'il était mort. J'ai, par un mensonge peu glorieux, répondu que je ne le connaissais pas. Si j'avais dit que je le connaissais, je ne pouvais pas moins faire que de lui annoncer quel avait été son destin. Je n'en ai pas eu le courage. C'est ainsi. Je sais que je n'ai pas été le seul dans ce cas. Puis le soir du 25 mai, j'ai touché la petite gare de Parcoul-Médillac, dans le département de la Dordogne, aux confins de la Charente et de la Charente Maritime, là où mes parents habitaient. Mon père était désormais à la retraite depuis 1941 en Dordogne. Là où ce voisin avait tenté de me retrouver lorsque les Allemands me recherchaient près de Jonzac.

J'ai descendu là avec un camarade polonais vivant en France de longue date qui avait laissé un frère mort dans un Kommando de Klinker et tous les deux, nous avons été accueillis gentiment par la population et le maire du pays m'a accompagné chez mes parents. Ils avaient reçu un signe de vie de Rheine, d'une ville de Rhénanie. Ils savaient donc que j' étais vivant et que j' arrivais, sans aucune précision. Et effectivement, ils avaient hissé le drapeau au sommet de l'arbre le plus haut et j'ai retrouvé mes vieux parents. C'était donc le 25 avril 1945 et je laissais Guy Ducos partir vers la gare St Jean. Il allait d'ailleurs venir me voir avec sa petite moto quelques temps plus tard. A ce stade que voulez-vous savoir de plus? ».


Le chant des marais