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L'étudiante: Comment s'est passée votre arrivée au camp de Sachsenhausen ?
G.D : " Au camp de Sachsenhausen, on a fait la découverte de ce qu'étaient les camps de concentration, sous la direction des
S.S, on a été accueilli sans trop de ménagement à la descente des wagons par des S. S. qui hurlaient avec des chiens. Un ou deux
montaient dans les wagons, se mettaient derrière nous et poussaient tous les gens dehors. Donc tout le monde tombait, on tombait
sur les gens moins agiles et les personnes âgées, ...les chiens étaient là pour nous surveiller, à l'aide des chiens, ils nous faisaient
mettre en rang. ..en courant, on est parti à pied, rassemblant chacun ses affaires dans les valises. ..à pied, on a traversé le bourg
d'Oranienburg et on est arrivé au camp de Sachsenhausen où on a découvert la formule de la Wehrmacht, vous la connaissez sans doute.
Et puis là aussi - tous ceux de mon convoi s'en souviennent, on a été frappé de la même manière - on nous a mis en attente sur un
côté de la place d'appel. C'était en janvier, il faisait froid, on n'avait pas bu depuis trois jours et demi. On avait soif, on avait
faim aussi bien sûr mais c'était surtout la soif qui tenaillait et le froid parce qu'on n'était pas préparé à affronter un froid
aussi intense. Je n'avais pas de thermomètre ~ tout ça, c'est des "on dit" mais c'est sûr qu'il faisait très froid. Donc on a attendu
là, par 20 ou par 30, ils nous appelaient, nous embarquaient pour nous enlever tous nos vêtements, nous passer à la douche, à la
désinfection puis pour nous immatriculer, nous donner les habits de déportés. Et alors, pour ma part, avec quelques autres, on a
attendu quand même jusqu'à l'après-midi. On était arrivé le matin, dans l'obscurité. C'est là qu'on a eu la vision de ce que pouvait
être le camp, à savoir un détenu qui était en chemise près du poste des S. S. avec un rutabaga à ses pieds et qui est resté là...
il est mort sur place. Ce qui nous a frappé aussi, c'est qu'on a vu des gens en habit rayé qui tournaient sans arrêt autour de la
place d'appel. Alors, on s'est aperçu qu'il y avait des portions de 25-30 mètres qui étaient en goudron, d'autres en cailloux,
d'autres en sable, d'autres en terre, d'autres... c'était des pavés. On a appris qu'ils essayaient des chaussures pour une entreprise
de fabrication de chaussures. Alors ils étaient... c'est ce qu'on appelait la Strajkompanie et ils étaient condamnés à essayer des
chaussures et à tourner du matin au soir, ils en changeaient tous les jours. Ainsi, dans l'entreprise, on pouvait faire une fabrication
solide.
Une petite anecdote. On se disait: "Mais où passent tous ceux qui sont partis ?" On voyait bien sortir des gens mais c'était en habit
rayé, en calot rayé. On ne reconnaissait plus personne bien sûr ! On les voyait passer en rang ~ au bout d'un certain temps, on a
compris: "Mais ce doit être eux qui sortent par là! " Effectivement, on s'en est rendu compte quand notre tour est arrivé. Voilà.
Ensuite notre tour est arrivé, on a rejoint les autres et on s'est retrouvé "à poil", à la douche, on est passé à la chambre de
désinfection: on nous a mis un liquide sur le corps, sur les bras. Et puis, ce fut la fiche d'identité, l'immatriculation, après,
on nous a donné un pantalon, une veste de chemise, deux numéros qu'il fallait coudre, un sur votre veste et l'autre sur le pantalon.
Ensuite, on a été acheminé vers un block de désinfection. On est sorti de ce passage-là, complètement transformés! Puis nous avons
été conduits vers une baraque qui était appelée block de la quarantaine et là on est resté un certain nombre de jours où on nous
apprenait tout simplement les règles de vie au camp et les mesures disciplinaires de rigueur. Et puis un jour pour ma part, avec un
autre, on a été appelé pour une corvée, c'était un jour où il pleuvait - c'était en début de février ou fin janvier, il pleuvait -
on nous a donné une brouette, un râteau, une pelle, on devait nettoyer la place d'appel.
Il pleuvait à torrents. Bien entendu, on ne faisait rien mais il fallait quand même traîner la brouette. Alors, on essayait - quand
on le pouvait, quand on ne voyait aucun regard autour de nous - de se mettre un peu à l'abri contre une baraque. Mais c'était difficile.
Alors le soir, on était tout trempé, bien entendu sans plus. On a participé à l'appel. Alors là, on a commencé à comprendre ce que
c'était. Et puis ça a duré une quinzaine de jours. Ensuite, on nous a rassemblés. On nous avait demandé au préalable quelles étaient
nos professions, quel travail nous faisions. Ils ont appelé un certain nombre de numéros puisque désormais nous n'avions plus de
nom. On a appelé un certain nombre de numéros et on a été - je ne sais plus combien nous étions, je ne sais pas si c'est 300 - acheminé
vers le Kommando Heinkel qui fabriquait des avions.
Là, on a été réparti dans des ateliers avec des Vorarbeiter qui suivaient les
opérations -ils le faisaient surtout avec des coups de schlague, sous la
responsabilité de contremaîtres civils -ils n'étaient pas tendres avec nous, on
en a rencontré un, peut-être, qui nous a fait savoir qu'il n'était pas d'accord
avec la guerre. On a travaillé. Le matin, appel; le soir, appel, des temps qui
duraient plus ou moins, selon qu'il y avait eu un incident dans le camp. Par
exemple, si un de nous était retardataire, tous les Vorarbeiter, tous les chefs
de block, partaient le chercher. On restait là tant qu'il n'était pas retrouvé.
Enfin, à différentes occasions. on attendait là. une heure. une heure et demie,
deux heures. Il fallait que les comptes tombent justes. On comptait, tout le
monde se mettait à recompter... Et pendant ce temps, on restait... Voilà. C'est
là que j'ai rencontré l'organisation clandestine. J'avais fait la connaissance
dans le wagon de deux hommes de la région parisienne qui avaient été arrêtés
pour Résistance. On avait déjà essayé de dégrafer le plancher pour essayer de
sauter du wagon mais on s'était heurté à l'hostilité de tous les autres parce
que bien sûr il y avait des représailles quand, dans les wagons, des évasions
avaient lieu. C'est arrivé deux fois. les wagons avaient été mitraillés. Ceux
qui restaient -pour deux qui s'évadaient ou un -" dérouillaient " pas
mal. On n'a pas pu continuer notre travail. Ces deux militants communistes dont
j'ai fait connaissance étaient dans les F. T.P. à Paris. L'organisation
clandestine était déjà en place à Compiègne. Donc, dans le transport, il y
avait des responsables, des gens qui participaient déjà à une organisation
clandestine. Si vous voulez, ça c'est rapidement mis en place à Heinkel. Pour
ma part, je faisais partie d'un groupe de trois. On était ainsi organisé en
groupuscule pour des raisons de sécurité. Il y avait un responsable politique,
un responsable à l'organisation et un responsable de la solidarité. Moi,
j'étais responsable de la solidarité. Autrement dit, on essayait d'une part de
récupérer des gamelles de soupe -ce qui n'était pas facile. Mais on a eu une
chance inouïe dans ce Kommando, c'est qu'ils ont, à notre arrivée, mis en place
des cuisines bien sûr puisqu'on a presque inauguré les lieux et ils ont demandé
qui étaient cuisiniers. Six déportés, des résistants communistes, se sont
présentés. En réalité, il n'y en avait qu'un seul de cuisinier, Alfred Rey, et
tous les autres.., Raymond Lesieur, Kamel qui était des Landes, un autre de
Souston et Carabasa, un Espagnol de l'armée Républicaine se sont déclarés
cuisiniers Ils cherchaient un moyen de se soustraire au travail. Le responsable
politique de l'organisation clandestine du camp est allé les voir et leur a dit:
" Vous avez trouvez une bonne planque c'est tant mieux, mais il faut
penser aux copains. Donc, on vous demande de mettre de côté le plus possible le
pain des casse-croûtes, le vôtre bien entendu ". Ils avaient quand même à
manger, ils avaient les pomme de terre. " On répartira ce supplément aux
copains qui en ont le plus besoin! " Ma responsabilité en tant que
responsable de la solidarité dans ce triangle était d'aller chercher le soir
des casse croûtes pour mon groupe qui comprenait environ 100 Français. On
recevait deux casse croûtes par jour ~ pour assurer la répartition, on
cherchait ceux qui paraissait les plus faibles. ~Physiquement, on le voyait
facilement mais il était plus difficile de juger la déficience morale. Le choix
fait, on décidait pendant une semaine de donner un casse croûte chaque jour. On
discutait aussi avec le détenu choisi pour lui remonter le moral, l'informer de
ce qui se passait dans la Résistance, des bombardements... Parce que notre
travail consistait aussi à diffuser les nouvelles. Quelque part dans le camp,
il devait y avoir un poste de radio, et tous les soirs on recevait un
communiqué. Alors on l'étudiait à nous trois et on le répétait de bouche à
oreille. Il se diffusait ainsi. De plus, je le portais à un autre groupe dans une
autre baraque.