Bombardement de Royan. La nuit du 4 au 5 janvier 1945. |
La Reconstruction de Royan (Guy Binot) (éditions Alain Sutton).
Bordeaux, les bombardements, Peter Krause.
Histoire de la Résistance (Henri Noguères tome 10)
Histoire des années 40 (Robert Aron tome IV)
Au secours de La Rochelle, Rochefort et Royan (Amiral H. Meyer)
Les interventions militaires des Etats Unis dans une perspective historique (howard Zinn – colloque Grenoble 05/05/2003)
Lancaster |
Le général Royce, chef de la First Tactical Air Force basée
à Vittel, qui supervise les Forces Aériennes de l’Atlantique du général Corniglion Molinier, vient à Cognac, le 10 décembre 1944,
rendre visite au général de Larminat, en vue de la préparation de l’appui aérien devant assister l’opération.
« Evacuation by december 15th »
L’amiral Meyer écrira, pour sa part que le « le général américain, d’un tempérament bouillant, avait très vivement
insisté pour que les poches de l’Atlantique fussent, suivant sa propre expression, ramollies par des bombardements aériens massifs
détruire la ville fortement défendue et
occupée uniquement par des troupes allemandes ».
La RAF a choisi pour repérer la ville, sur le plan du War Office, les coordonnées 372753 de Lambert sur la carte
GSGS.4250.6M/5, soit un point de longitude 37,2 et de latitude 75,3, en plein centre au nord du cimetière protestant. Ce point,
plus central que celui proposé par Royce, sert simplement de référence pour situer la ville, les sept Mosquitos qui guident les
bombardiers balisent, avec 1.242 fusées rouges et vertes, le véritable objectif : un quadrilatère à écraser sous un tapis de
bombes. L'attaque a lieu en deux vagues ; la première, de 217 Lancasters, commence le bombardement à 03h51. Peu destructrice,
l’attaque n’a duré que 15 minutes. Les gens sortent de leurs abris afin de porter secours aux premiers blessés. Toute la population
se trouve à découvert. Il est 05h28, 124 nouveaux bombardiers se présentent à la perpendiculaire de la cité à une altitude entre
2.000 et 3.000 mètres. L’attaque s’achèvera à 05h43. Juste 15 minutes. Le temps de larguer 1.576 tonnes de bombes explosives, dont
285 bombes de 4.000 livres Blockbusters. Pour baliser l’objectif, les Pathfinders ont lâché 1.242 fusées et 27 tonnes de bombes
incendiaires. Le Rolling Carpet Bombing a fait son œuvre.
Un précédent mémorandum avait été adressé par le général de Corniglion-Molinier au général Royce. Un bombardement massif était
demandé avant l’attaque. La demande avait été adressée initialement par le colonel Adeline au général de Larminat en Octobre.
Des cinq personnes présentes à cette réunion, deux représentent les forces françaises, soient, les généraux de Larminat et Corniglion
Molinier, trois représentent les forces alliées, le Général Royce et ses adjoints le colonel U.S Crumrine et le colonel Chassey,
détaché par l’armée de l’air française auprès de la 1st Tactical.
Cette réunion étant secrète il ne fut pas établi de procès-verbal. Guy Binot avance deux versions:
1°) Royce et ses adjoints assurent que Royan a été choisi comme objectif.
2°) Les français donne comme cibles: la Coubre, pour de Larminat, la ceinture fortifiée de Royan pour de Corniglion-Molinier. Il
remet, à cet effet, au général Royce, une carte au 1/25.000, « Défense de Royan », établie par l’Etat-major du colonel
Adeline, le 11 novembre, du réduit fortifié de Royan avec la ville de Royan et ses environs sans la Coubre. (carte conservée aux
archives R.A.F)° Cette carte porte deux mentions manuscrites en anglais :
en haut à gauche “Pointe de la Coubre 13 miles
from Royan” avec une flèche vers le Nord.
Le colonel de Chassey, adjoint du colonel Royce, doit rédiger une note, le 17 janvier 1945, sur cette réunion. Mais, déjà, à cette
époque on recherchait des responsables. D’après la note établie Royce se serait inquiété par deux fois de la mort inévitable de
civils français.
De Larminat aurait répondu : « la plus grande partie de la population a été évacuée. Des ordres d’évacuation ont été donné.
Aucune raison pour que l’opération soit annulée. "
Allant plus loin, Robert Aron, dans son « Histoire des années 40 », écrit que « Déçu, le général américain passe
la soirée dans un camp de presse F.F.I, où, au cours d’une beuverie, des éléments irresponsables s’expriment en termes forcenés sur
la population demeurée à l’intérieur de Royan – Tous ces gens là, affirme-t-on, ce sont des collaborateurs.
Le 11 décembre, selon Robert Aron, le général serait revenu au Q.G. afin d’exposer « une idée merveilleuse qui lui était
venue au cours de la nuit » ; profiter de ce que Royan était dépourvu de défenses aériennes pour l’affecter comme cible
d’entraînement à certaines écoles de bombardement sises en Grande-Bretagne. Proposition refusée par les Français.
Le 13 décembre, une confirmation de l’attaque est demandée au S.H.A.E.F. Le problème des civils est à nouveau soulevé car les
objectifs visés (port de Royan et diverses batteries côtières) engagent un bombardement massif du site. Le général Royce fait accepter
cinq bombardements au S.H.A.E.F. : quatre batteries à la Coubre et la ville de Royan.
L’accord du général de Larminat est donné le vendredi 15 décembre par l’intermédiaire du colonel Chassey.
Le colonel de Chassey devait confirmer en 1955, par note manuscrite, « la vérité est que la ligne de bombardement fixée par
le général de Larminat laissait la ville de Royan dans l’axe que les alliés avaient latitude de bombarder ». Décision confirmée
par deux fois par le général Royce, Royan devant être évacué par la population civile.
Le 14 décembre le général Thatcher cite parmi les objectifs retenus : « Town of Royan ». Il n’y a pas d’ambiguïté.
Confirmation, le 16 décembre par télégramme du général Spoatz au général Doolittle commandant la 8e Air Force équipée
des bombardiers lourds, les « Forteresses volantes ». Prévision d’une attaque des unités de bombardement de nuit à
l’entraînement. Une copie du message est donnée au Bomber Command de la R.A.F.
17 décembre, Général Devers, supérieur hiérarchique de Larminat demande confirmation de la ligne de sécurité des bombardements dans
la poche pour protéger ses propres troupes. Réponse : ligne extérieur à la Tremblade, Semussac et Meschers, Royan est comprise
dans le périmètre à bombarder. Plus tard, le 18 janvier, Devers le rappellera à de Larminat.
18 décembre, le général Anderson, adjoint au commandant des forces alliées pour les opérations, adresse un nouveau rapport au général
Doolittle. Il confirme et résume la participation de la F.A.A. à l’opération « Independance » du 25 décembre : «
Les forces terrestres et navales utilisées dans cette opération anticipent des pertes modérément élevées à cause de l’importance
considérable de l’artillerie et le nombre des positions de défense côtière que l’ennemi possède. De plus, la ville de Royan située
sur la rive est de l’estuaire de la Gironde est puissamment défendue et à présent constitue le point principal de résistance. La
population civile a été évacuée de Royan et, après le 15 décembre 1944, la ville et les défenses côtières peuvent faire l’objet
d’une attaque aérienne. Toute destruction ou neutralisation temporaire de ces objectifs par une attaque aérienne sera une contribution
matérielle au succès et à la réalisation rapide de cette opération et apportera une réduction des pertes des forces terrestres et
maritimes ». L’affaire est alors entre les mains de l’Etat-major des forces aériennes stratégiques.
23 décembre, le général Spaatz adresse un télégramme au général Doolittle et remet sine die l’opération « Independance »
tout en « laissant les objectifs disponibles pour votre attaque ». Pas de double pour Royce et Corniglion-Molinier.
Le 27 décembre, le commandant Hubert Meyer apprend que le général de Larminat vient de recevoir du ministère de la Guerre un télégramme
lui prescrivant de prendre contact, si possible, avec le commandement ennemi de Royan afin de négocier la grâce de plusieurs habitants
de la ville, condamnés à mort pour faits de résistance ; un général allemand prisonnier est offert en échange. La mission
en échoit au commandant Meyer qui, le 2 janvier, se présente aux avant-postes de Meschers accompagné du commandant Stoebner. L’entrevue
fut une simple formalité. L’ennemi acceptait l’échange.
4 janvier, un télégramme supplémentaire confirme la zone à bombarder, fournie par le général de Larminat. « le statut des objectifs
reste inchangé. ». Le mauvais temps annule tous les bombardements sur l’Allemagne et l’Air Vice-Marshal Oxland du Bomber Command
de la R.A.F cherche d’autres cibles. Le bombardement de Royan est décidé pour la nuit du 4 au 5 janvier 1945.
Ce jour-là à 15h40, la météo étant favorable, la décision de lancer l’assaut est donnée. Le S.H.A.E.F donne son autorisation à
17h25. Le Q.G. de la VI US.Army à Vittel est informé. Le général Schramm, adjoint de Royce, n’arrive pas à obtenir l’accord définitif
des autorités françaises, la ligne Vittel-Cognac est en dérangement. Des messages chiffrés, classés « Urgent », sont adressés
aux généraux de Larminat et Corniglion-Molinier. L’absence de réponse est prise pour une acceptation. Souhaitant une réponse, le
général Royce, à 19h50, envoie un nouveau message à de Larminat. Toujours pas de réponse, le feu vert est donné aux escadrilles
basées en Angleterre.
5 janvier, 341 bombardiers Lancaster s’envolent des bases anglaises, après minuit, pour raid de terreur. Consignes données :
« ne lâcher les bombes que si l’objectif est
clairement identifié à cause de la proximité des forces militaires
françaises. »
Les premiers secours s’organisent dans une maison close pour soldats allemands : « au Clair de lune » vont se dépenser
sans compter, prostituées et religieuses, infirmières de bonne volonté. pendant 48 heures. L’hôpital des Mathes est saturé.
Ce déluge de fer et de feu va se révéler un véritable fiasco pour l’aviation britannique ; malheureusement, la ville est détruite
à 85%. Le bilan humain n’est pas figé. Selon les sources, on relève de 336 à 490 tués, de 100 à 150 disparus et de 300 à 400 blessés.
Côté allemand : 35 à 47 morts. Aucune défense n’a été détruite.
L’aviation britannique enregistre, pour sa part, la perte de 7 appareils : 2 abattus par la Flak, 2 étant entrés en collision
au-dessus de Cognac, un autre, sévèrement endommagé qui s’écrasera à Courlay. Le sixième ne rejoindra pas l’Angleterre et s’abîmera
en mer. Le dernier, suite à une avarie de moteur, s’écrasera près de sa base.
A Cognac, au Q.G. de Larminat, croyant à un attaque allemande, on éteint toutes les lumières. Des avions sont là, au-dessus du
terrain. Collision entre deux appareils qui s’écrasent sur le terrain. Les militaires français interviennent et découvrent avec stupeur,
non pas des Allemands mais des Ecossais morts et blessés. Ces derniers arrivent à expliquer qu’ils sont de la R.A.F et qu’ils ont
reçu l’ordre avec une dizaine d’appareils de se poser sur le terrain de Cognac. Le terrain est à nouveau éclairé permettant ainsi
aux appareils en attente de se poser.
Comment se fait-il que la base de Cognac n’ait pas été prévenue de l’arrivée de ces appareils ? Robert Aron met en cause le
détachement de liaison américain sous les ordres d’un adjudant, qui se trouvait au Q.G. de Larminat. Il semble que le télégramme
annonciateur du bombardement soit arrivé au moment du dîner et, comme par ailleurs, aucun message important « n’arrivait jamais
à Cognac », le sous-officier de service passa à table et remit au lendemain le déchiffrage du courrier,
Au lendemain du bombardement, le commandant Meyer reçut l’ordre de reprendre contact avec l’amiral Michahelles, sur la demande du
colonel Adeline. A lui d’amadouer l’ennemi afin de venir en aide aux civils dans le besoin. Le commandant Meyer avouera qu’il n’était
pas réellement fier du rôle qu’on lui faisait jouer. Il allait être accueilli par les sarcasmes de son interlocuteur qui lui déclara
sur un ton incisif :
« Je suis venu ici dans votre intérêt, et non dans le mien. C’était vraiment bien la peine de venir nous proposer, il y a
quelques jours, de nous battre en gentlemen alors que vos chefs préparaient cet affreux massacre ! pour nous les dommages sont
légers. J’ai perdu quelques hommes ; vous près de deux mille ; ma forteresse est intacte et votre ville rasée. Curieuse
façon de faire la guerre ».
Le général de Gaulle devait écrire : « Il est vrai que (…) les bombardiers américains (à vrai dire la R.A.F.) étaient
venus de leur propre chef jeter en une nuit force bombes sur le terrain. Mais cette opération hâtive, tout en démolissant les maisons
de Royan, avait laissé presque intacts les ouvrages militaires. »
Le général Royce est limogé le 29 janvier par Eisenhower qui ne veut pas d'ennuis avec le gouvernement français mais il ne passe
nullement en conseil de guerre et il est muté aux Etats-Unis à un important poste administratif.
Dans le journal de la section française de la 1st Tactical Air Force, à la date du 20 janvier, il est écrit que suite au départ
du général Royce, ce dernier demande au général Bouscat, chef de l'armée de l'air à Paris, de donner son avis personnel sur le
bombardement de Royan au général Spaatz et Bouscat répond : «qu'il est entièrement d'accord avec le général Royce» et va aller voir
immédiatement Spaatz pour le lui dire.
Il est clair que Bouscat ne tient pas Royce pour responsable de la destruction de Royan et est persuadé que Larminat et Corniglion-Molinier
ont bien donné leur accord pour bombarder la ville. Même s'il n'a pas assisté à la réunion de Cognac, Bouscat a eu un entretien avec
Corniglion-Molinier et Royce deux jours plus tard à Paris où certainement ce point a dû être évoqué.
Curieusement le général Royce, considéré par les autorités militaires françaises comme le responsable de ce bombardement inutile
et meurtrier, est fait commandeur de la Légion d'honneur par le gouvernement du général de Gaulle le 26 mai suivant et, très flatté,
il en remercie chaleureusement le général Bouscat
Les jours suivants sont marqués par de nouveaux bombardements effectués par l’aviation française qui est bien loin de posséder les
moyens des aviations U.S. et anglaises.
Le samedi 14 avril se déclenchent les opérations « Vénérable », sur la poche de Royan et « Médoc » sur la
poche de Soulac. A l’aviation française vient se joindre la puissance américaine :
Samedi 14 avril 1945 | ||
Formation | Largage de | Objectifs. |
338 Flying Fortress B-17 G | 1054,9 tonnes de bombes | 4 objectifs de la poche de Royan. |
315 B-24D, H, J et L Liberator | 1017,5 tonnes de bombes | 12 objectifs Pte de la Coubre et Pte de Grave. |
480 Flying Fortress B-17 G | 1246 tonnes de bombes | 15 objectifs Pte de la Coubre et Pte de Grave. |
Dimanche 15 avril 1945 | ||
442 Flying Fortress B-17 G | 1303 tonnes de bombes | - |
341 B-24 D, H, J et L Liberator | 729,5 tonnes de bombes. | - |
492 Flying Fortress B-17 | 822,9 tonnes de bombes | - |
Il est important de savoir que, pour la première fois, les
appareils de la 2 nd et 3 nd Air Divisions
L’historien Howard Zinn déclarera:
emportent des bombes au napalm de 250 kilos
1278 appareils ont déversé 2855,4 tonnes de bombes
“J’ai commencé alors à penser aux missions que j’avais faites. J’ai commencé à penser à la dernière de ces missions, le bombardement
de Royan, en milieu du mois d’avril 1945. C’était trois semaines avant la fin de la guerre; tout le monde savait que la guerre était
finie. Les Alliés avaient libéré la France et avaient pénétré assez loin en Allemagne. Pourquoi allions-nous bombarder une ville
sur la côte atlantique en France ? Parce que, selon nos services de renseignements, il restait une poche de soldats allemands
près de Royan. Ils ne faisaient rien, ils attendaient seulement la fin de la guerre. Mais nous devions les éliminer. Ainsi nous
allions emporter un nouveau type de bombe dans nos soutes à bombes - pas les bombes habituelles de 250 kilos, mais 30 cylindres de
cinquante kilos d’essence en gelée :c’était du napalm- la première utilisation du napalm dans la guerre en Europe.
Nous avons survolé Royan - 1200 gros bombardiers pour attaquer quelques milliers de soldats allemands - et nous avons lâché nos bombes,
tuant les soldats, mais détruisant la ville de Royan. Nous ne savons pas combien de personnes sont mortes dans ce bombardement [47
soldats allemands et 442 civils français]. Je n’y ai même pas pensé alors. C’est la guerre moderne, on tue à distance, le tueur ne
connaît pas la victime, ne la voit pas, ne l’entend pas. »
A noter que, pour certains, les bombes au napalm sont des bombes de 250 kilos alors que, pour Howard Zinn, il s’agit de cylindres
de 50 kilos. Par ailleurs, Zinn semble confondre le nombre des victimes avec celui annoncé pour le bombardement du 5 janvier.