Biographie. Résistants honorés. |
Cormier Manon | Avocats |
Les femmes dans la Résistance. |
Cahier de la Résistance n°15
Une Bordelaise, martyre de la Résistance.
Le 27 août 1896 des jumeaux naissaient au foyer Cormier; Henri et Madeleine connue plus tard sous
le prénom de Manon.
Le frère, engagé volontaire (le plus jeune aspirant de France), meurt au combat, le jour de ses 18 ans, le 27 août 1914. La mention
"Mort pour la France lui sera accordée.
Dés le lycée Manon Cormier se fit remarquer et fut récompensée par de nombreux prix d'excellence.
Inscrite à la Faculté de Droit, elle est l'une des trois premières femme entrant dans ces lieux.
Efficace, tout juste dans sa vingtième année, elle obtient en compagnie de son amie Annette Belot
la licence en Droit, diplôme qu'aucune femme n'avait alors tenté.
Dans la pure logique des choses et poursuivant sa route, elle est la première bordelaise à préparer
le doctorat. Elle soutiendra sa thèse, le 9 juin 1932. Elle sera donc la première licenciée de
la Faculté de Droit de Bordeaux inscrite au barreau de cette ville.
Première femme secrétaire de la Conférence du Stage, à Bordeaux, elle sera la première femme, en
France, a occuper ce poste.
Dés 1932, elle est nommée attachée au cabinet de Louis Marin, Ministre des pensions. Puis, Manon
Cormier accepte d'être la première femme à accéder au poste de sous-directeur au Ministère du
Ravitaillement. Jusqu'à lors, une seule femme avait été admise à ce niveau, au Ministère du Travail.
Manon Cormier se déplace beaucoup, toujours pour des motifs d'étude ou
professionnels. Elle est en
Italie, en Autriche, en Allemagne, en Angleterre, en Argentine, en Pologne ou en Belgique.
La vie associative lui est chère. Première femme présidente de l'association générale des étudiants
de Bordeaux, elle créé à Bordeaux le section départementale de la "Ligue française pour le droit
des femmes, on la retrouve à la "Croix rouge Française", aux "Françaises au service de la Nation",
au "Relèvement", aux "Amis de la Pologne", aux "Soroptimistes", etc...
C'est aussi une conférencière qui publie de nombreux articles et qui fait paraître un livre:
"Madame Juliette Adam, ou l'aurore de la IIIème République". Cet ouvrage sera couronné
par l'Académie Française.
"Elle fit ses premiers pas dans la Résistance afin d'aider, dans la mesure de tous les moyens dont
elle disposait, des Français qui n'hésitaient pas, pour se procurer des armes, à abattre, la nuit
avec un marteau, les sentinelles allemandes".
Ses activités sont alors diverses, transmission des messages, hébergement des réfractaires, elle
fournit encore à la Résistance des cartes d'alimentation et des pièces d'identité.
Dés 1942, elle apporte son soutien au Front national et plus particulièrement au "chef Michel" et
à "Philippe", chef régional des F.T.P.F, pour la région Sud-Ouest qui sera arrêté et fusillé, en
janvier 1944, à Bordeaux.
Manon Cormier fut arrêtée par la Gestapo sur indication de la police française, le 30 septembre
1943. Cela se passa au Ministère du Ravitaillement, aux Invalides. Transférée au siège de la Gestapo,
rue des Saussaies, elle passait, le soir même, à la prison de Fresnes. Première nuit, dans une
cellule d'attente. Tous les quart d'heure ouverture du guichet pour contrôle.
Mais les policiers bordelais tenaient à l'avoir sur place. Ils vinrent la récupérer à Fresnes, le
11 novembre 1943. Donnant sa parole de ne pas s'évader, Manon peut faire le voyage non menottée.
Dès son arrivée à Bordeaux, elle était conduite rue Victoire-Américaine, siège du commissaire
Poinsot et de sa bande. Premier interrogatoire, puis le Fort du Hâ et une cellule sale et repoussante
où la fatigue la terrassa. Le lendemain, nouvelle cellule avec deux compagnes de détention. Cela
allait durer un an et demi. Après le passage au service anthropométrique, les interrogatoires
reprirent. Toujours Poinsot. Un Poinsot qui interroge et qui ne semble pas vouloir écouter.
Incarcérée au Fort du Hâ jusqu'en mars 1944, elle apprend qu'elle va repartir sur Paris, en compagnie
de trois femmes et de quarante hommes. Fresnes est la nouvelle destination où elle restera jusque vers
mi avril. Alors, après un examen cardiaque suivi d'un éventuel épouillage, c'est le bus qui emmène
son lot de déshérités vers une petite gare anonyme et discrète de la région parisienne. Il n'était
pas nécessaire de faire connaître à la population les misères de la déportation.
Le 30 avril, c'est l'arrivée au camps de Lauban, près de Breslau. Affectée dans un kommando au battage
du lin, Manon découvre un travail très, très dur, aux horaires implacables; une équipe prenait de
quatre heures et demi du matin à quatorze heures, l'autre de quatorze heures jusqu'à vingt-deux
heures. Au bout de huit jours, elle s'évanouit. Reclassée "attacheuse au bout", elle tient deux
mois. Mais la fatigue ne la quitte plus. Elle s'évanouit par deux fois. Le coeur flanche.
Fin octobre, toutes les femmes du camp de Lauban sont transférées au camp de Ravensbrück. Manon
Cormier est déclarée "Nuit et brouillard". Ses cheveux étant devenus totalement blancs, elle évite
les grosses corvées mais, en contre-partie, elle risque soit les "camps de jeunesse", soit les
"transports noirs". Ce qui voulait dire, dans le premier cas, le départ vers un camp d'extermination
où les détenues, sans vêtement et sans nourriture, devaient subir des appels pouvant durer de douze
à quatorze heures; dans le second cas, c'était la disparition totale. Aucune nouvelle n'est jamais
parvenue des femmes ayant été désignées pour ce genre de convoi, alimentés, en grande partie, par
les femmes agées ou malades listées cartes roses.
Les appels, à Ravensbrück, commençaient, tous les matins, par le réveil à 3h30. Rassemblées
par block, les détenues, au garde à vous, devaient attendre jusqu'à 8 heures par des températures
pouvant atteindre moins trente degrés. Aucune absence n'était autorisée: même les mourantes devaient
s'y présenter. Un autre appel se tenait après le déjeuner. Moins long, il durait
environ une heure.
Malade et affaiblie, Manon Cormier risquait chaque jour l'effondrement. Des camarades lui portaient
un tabouret, en cachette, risquant elles-mêmes d'être punies.
Dans les souvenirs de Manon Cormier se place un homme qu'elle désigne sous le surnom évocateur du
"marchand de bétail". Celui-ci était responsable de la préparation des "transports noirs". Elle se
trouva personnellement souvent soumise à sa brutalité: coups de poing, coups de matraques...
Tout était utilisé pour faire disparaître les "Nuits et brouillard". Ainsi, nues sur un brancard,
étaient-elles placées dans des couloirs exposé au vent glacial. Après un calvaire de toute une nuit
on ne retrouvait, au petit matin, que corps sans vie.
Manon Cormier vécut ainsi, comme tant d'autres, dans l'attente de la mort. En mars 1945, l'avance
des Russes déclencha la dispersion du camp. Entassées à soixante dix par wagons, elles se retrouvaient
sans eau, avec juste un bout de pain. Pas de seau pour les besoins. Ceux-ci ne pouvaient être faits,
qu'à certains arrêts, devant la soldatesque.
Elles arrivèrent, en Bavière, à la gare desservant le camp de Mauthausen qu'elles durent rejoindre
à pied. Cinq d'entre elles trop faibles pour avancer furent abattues. Les rescapées, exténuées, furent
conduites à la douche sous les regards de deux cent soldats réunis. Entièrement nues, les femmes
subirent ensuite un badigeonnage désinfectant sur les parties intimes de leur corps qu'un autre
Allemand vint vérifier, le lendemain, scrutant les résultats à l'aide d'un réflecteur. Opération
toujours conduites en présence d'une centaine de soldats, friands du spectacle.
Le camp de Mauthausen; six détenues pour une petite paillasse, trois couchées à la tête, trois couchées
au pied. Imbriquées les unes dans les autres. Le moindre mouvement de l'une mettait l'ensemble en
péril. Grognements, disputes, sommeil rendu impossible. Après ces nuits sans repos, il fallait parfois
faire vingt-cinq kilomètres chaussées de gros sabots.
Le 21 mars 1945, quatre vingt détenues sont tuées par un bombardement.
Atteinte de dysenterie, ne pouvant plus maintenir sa tête droite, toussant, sujette à des évanouissements,
à bout de force Manon Cormier demande à se rendre à l'infirmerie ou ce qui en tient lieu. Pas d'eau,
un ruisseau fangeux traversait ce lieu... Un verre de jus par jour. Quant aux besoins? Obligation
de se traîner dehors sur une tonne, cloaque de boue et d'excréments, arrosée bien rarement avec du
chlore.
Fin avril, les camions de la Croix-Rouge arrivèrent. Il était temps. Voyage inconfortable de plusieurs
jours; la Suisse par le lac de Constance, mise en isolement de quatre jours à Saint-Gall. A Annecy,
le docteur, chargé du contrôle sanitaire, juge Manon Cormier incapable de poursuivre sa route. Mais
elle insiste, elle veut rentrer; mise sur une civière, accompagnée par une infirmière personnelle,
elle parvient à Paris. Hospitalisée à l'hôpital Bichat, puis à l'hôpital Boucicaut, elle
s'éteint
le vendredi 25 mai, à six heures du soir.