Biographie. Résistants honorés. Dupuis Jacques. |
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Eloge prononcée par M. Guy Chataigné, compagnon de déportation
lors de la remise de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur à Jacques Dupuis.
Sachsenhausen, banlieue à Orianenburg, à 30 kms au nord de Berlin,
est le camp qui a été mis en service le 12 juillet 1936, très discrètement, car, à cette époque, se déroulent les Jeux Olympiques
de Berlin.
Sachsenhausen va être le camp-phare, le camp-pilote, supplantant ainsi la fonction qui avait été assignée initialement au camp
de Dachau ouvert dès le mois de mars 1933.
A Sachsenhausen, plus de 200.000 déportés de vingt nationalités franchiront la porte d'entrée. Plus de 100.000 y mourront, selon
les chiffres officiels. Encore ces derniers ne tiennent pas compte de ceux qui meurent et vont mourir sur les routes de la mort.
Sachsenhausen a été, depuis sa création, le siège de l'Inspection Centrale des camps et fut le centre névralgique du système
concentrationnaire nazi.
C'est un immense triangle isocèle au sein duquel les baraquements sont disposés en arc de cercle. curieusement, ce triangle, tous
les déportés de l'ensemble des camps vont le porter sur leur veste et pantalons rayés, avec une couleur destinataire suivant les
catégories de détenus: rouge, vert, noir, bleu, violet, rose.
La marche, hallucinante, reprend donc pour Jacques et ses compagnons de Buchenwald, une marche vers le nord-ouest, en direction
de la mer Baltique. Spectres ambulants, s'agrippant les uns aux autres, exténués, affamés et, à nouveau, en proie à une soif
indicible. Ils avancent à grand peine sur les chemins désolés du Brandebourg,
Ceux des nôtres, qui, dans cette salle, sont des rescapés de cette marche, demeurent stupéfaits et admiratifs à considérer que
Jacques, qui venait de se voir imposer une première marche, terrible, depuis Rottleberode, ait pu subir, et finalement survivre,
à une seconde épreuve, plus mauvaise encore.
La mortalité est effroyable. Les traînards sont impitoyablement abattus d'une balle dans la
nuque. Les cadavres jalonnent l'itinéraire;
les colonnes, dans leur progression, enjambent les cadavres des colonnes qui ont précédé. Les malheureux s'entassent dans les
fossés, dans les clairières et les carrières. Certains ont dû creuser leur propre tombe, le revolver de l'assassin sur la tempe..
Lors d'une halte de deux ou trois jours, le troupeau est immobilisé dans une forêt de hêtres. Herbes, racines, écorces
d'arbres, faîne de hêtres sont dévorées de façon animale. Lorsque la marche reprend, ce sont des centaines de nouveaux cadavres
qui sont abandonnés sous la frondaison.
Les rescapés, littéralement épuisés, piétinent désormais dans les chemins forestiers du Mecklembourg.
Les fronts se rapprochent. Le canon gronde tant à l'Est qu'à l'Ouest, puis les tirs de mitrailleuses témoignent de la proximité
des combats.
L'heure du dénouement se rapproche, espéré et terriblement redouté à la fois.
La plupart des rescapés de cette marche seront libérés les 2 ou 3 mai, qui à Criwitz, qui à Parchim, qui à Schwerin. Mais rien
ne sera décidément épargné à Jacques Dupuis et ses camarades.
Alors que chaque jour, alors que chaque nuit, que chaque heure et chaque minute compte pour la survie, Jacques ne sera libéré
que parmi les derniers.
Le 5 mai, lui et ses compagnons sont serrés de près par la chiourme. Ils sont les spectateurs proches et effrayés d'un duel
d'artillerie, en réalité d'un duel de chars, titanesque, entre les derniers-nés des Panzers, les Tiger2 et les T34
soviétiques.
Ils voient les antagonistes et sont là, apeurés. Ils ont d'autant plus de motif de l'être que la cuvette qui s'étend à leurs
pieds est encerclée de soldats et que l'un de leurs gardiens leur dit tout bonnement, dans cet allemand rustique des camps,
"Morgen früh, alles kaputt" ("Demain matin, vous serez tous morts").
Ils ont des raisons de prendre le propos au sérieux car ils ont vu le sort qui a déjà été réservé à des milliers et des milliers
d'entre eux. Jacques et quatre de ses camarades, à la faveur de l'obscurité, regagnent un taillis. Ce sera leur chance de
survie. De là, ils rejoignent des baraquements fort heureusement occupés par des prisonniers de guerre français, libres, évacués
de Prusse orientale.