Biographie. Résistants honorés. Dupuis Jacques. |
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Eloge prononcée par M. Guy Chataigné, compagnon de déportation
lors de la remise de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur à Jacques Dupuis.
Jacques est affecté aux transports Kolonne. Là, il doit transporter
des pierres énormes de la carrière - située à 2 kms et où s'affairaient d'autres esclaves - au grand camp. Un travail exténuant,
inhumain. Il en est cependant extrait pour un autre commando que tous appellent le
"scheissekommando" ("le
commando de la merde"). L'innommable! Jacques et ses compagnons sont astreints à vider les feuillées, des
fosses d'aisance à ciel ouvert, englués jusqu'aux genoux. Ils vident ces fosses, alors que quatre camarades transportent, dans
une caisse brinquebalante, ces excréments jusqu'au jardin botanique des S.S, face au petit crématoire.
Les malheureux sont nauséabonds, privés de toute hygiène, rejetés de toutes parts, objets de toutes rebuffades et avanies de la
part de tous les déportés. Et cel peut se concevoir.
En septembre, le 26 septembre 1944, ils sont une centaine à partir vers un commando dont nul ne connaissait l'existence. Il sera
successivement versé aux commandos Tyra-Werke et Stampeda, près de Nordhausen. Il travaillera alternativement au creusement de
galeries avec un marteau-piqueur dans l'eau glacée jusqu'aux cuisses et au transport de charges monstrueuses. Travaux surhumains
autant qu'inhumains.
Ils vivent dans un petit camp; Rottleberode, "Heinrich" pour les intimes. Jacques retrouve Denis Pichelin qu'il verra furtivement.
La faim, lancinante, le tenaille. Les épidémies se multiplient; la vermine le prive de son sommeil. Sa santé se dégrade, mais,
cependant, il tient bon. Il tient bon mais à quel prix! Il a même la force de devenir un des chaînons de la solidarité qui s'est
développée dans ce petit camp. La solidarité, là comme ailleurs, c'est la minuscule tranche de pain, c'est l'infime cuillerée
de soupe, c'est souvent le pieux mensonge que l'on prodigue aux plus défaillants. Les jours passent, les morts se multiplient.
Mais, avec mars, les neiges fondent; le printemps s'annonce à divers signes. De plus, les nouvelles qui pénètrent dans le camp
par différents cheminements, comme dans tous les camps, sont réconfortantes; car les revers allemands s'accusent sur les deux fronts.
Les déportés s'interrogent sur leur devenir: libérations, évacuations, massacres? Ils vont être évacués dans la nuit du 3 au 4
avril. C'est l'époque où l'ensemble des commandos de Buchenwald connaîtront le même branle-bas, la même évacuation avec toutes
ses horreurs. C'est le cas de Dora, du grand camp lui-même qui sera partiellement évacué malgré l'opposition du Comité International
de la Résistance qui s'est constitué. Certains sont évacués par chemin de fer, d'autres à pied. tous les modes d'évacuation sont
affreusement meurtriers. On cite le cas d'un convoi de 5.000 détenus partant par chemin de fer à Dachau; 616 y arriveront. Ils
ne reviendront en France qu'à 400. Un sur douze! D'autres, partis de Dora vers le Nord, sont refoulés à Hambourg; car, à Hambourg,
les autorités entendent préparer leur libération proprement et ne veulent pas que leur ville soit souillée par la présence de
détenus faméliques et en haillons qui sont simplement une preuve des horreurs du régime.
Jacques et ses camarades connaissent une marche épouvantable. Exténués, ils ne sont pas nourris. Ils se nourrissent de feuilles,
d'écorces, de jeunes pointes d'orties, quelquefois des betteraves, denrées hypothétiques chapardées çà et là, à la faveur des étapes.
La souffrance est intense, la mortalité s'accroît. Ils prennent un train qui risque d'abréger leur calvaire. Ce train va s'arrêter
quelques kilomètres plus loin car la ligne est inutilisable. Puis, à pied, à nouveau à pied, ils tournent, ils piétinent plus
exactement autour de Magdeburg pendant trois jours. Ils seront placés sous le feu des chasseurs anglais qui ne les visent pas
expressément, puisque les troupes allemandes se déplacent en tous sens sur les mêmes routes et chemins qu'empruntent les déportés.
La marche se poursuit et, là encore, ils ne comptent plus les jours. Ils arrivent devant la porte d'un grand camp, propre, planté
de pins. C'est le commando Heinkel, une usine d'aviation, dépendant du camp de Sachsenhausen. C'est le 18 avril 1945. Ce jour là,
Jacques a 22 ans, mais il n'en a pas conscience.
Un an auparavant, jour pour jour, ce camp-usine a été quasiment frappé à mort par un bombardement aérien. Un certain nombre
d'entre nous, ici, avons d'ailleurs évacué ce commando en juillet 1944 pour d'autres camps et commandos extérieurs.
Jacques et ses camarades ne vont connaître qu'un répit bien relatif pendant trois jours. Ils vont s'épouiller, pouvoir enfin
se laver et boire à satiété. Mais leur fatigue ne va pourtant pas se réduire car leurs nuits se passent dans les bois extérieurs,
sous bonne garde, en raison des bombardements qui s'intensifient. Le 21 avril, ils quittent le commando Heinkel qui est évacué
en totalité. Ce jour-là, ils marchent vers le Nord et à 10 kilomètres à l'Ouest de Sachsenhausen, ils sont en présence d'une
longue chenille, une longue chenille humaine. C'est le camp de Sachsenhausen qui est évacué: 30 à 35.000 hommes. Cette période
est sans aucun doute la plus meurtrière de l'existence de Sachsenhausen.