La Résistance en Gironde. Le Service du Travail Obligatoire. |
Histoire de Vichy, Jean-Paul Cointet.
Proposition de loi du 24 juillet 2002, tendant à l'attribution du titre de reconnaissance de la
Nation aux réfractaires du service du travail obligatoire, présentée par M. Yves Cochet, Mme
Martine Billard et M. Noël Mamère.
Bordeaux 1940-1944, René Terrisse
Au coeur du troisième, Albert Speer
S.T.O. | Les réfractaires |
Camps de rééducation par le travail |
Témoignages |
La maréchal Pétain, ayant signé l'armistice, retrouva sous son emprise une
France assommée par la prompte défaite; un pays amoindri par la captivité en
Allemagne des hommes les plus vigoureux. Ils sont environ 1.500.000 dans les
camps de prisonniers nazis. Auréolé de sa gloire passée, le vieux maréchal se
sent entouré d'un certain consensus. Le gouvernement de Vichy sait pouvoir compter sur la vieille garde
des anciens combattants du précédent conflit. Il restait encore à séduire la jeunesse.
Dés juillet 1940, un ministère de la Famille et de la Jeunesse est instauré. A
celui-ci viendra s'adjoindre un secrétariat général confié au général d'Harcourt; un
délégué régional, Raymond Courtot assure la direction de la région Aquitaine (XIIème région).
Cette opération de séduction se heurtera toutefois à l'église qui tient à
conserver ses propres organisations de jeunesse. Georges Lamirand, nouveau promu
à la Jeunesse et aux sports, ne peut que s'incliner, conservant le pluralisme
existant en maintenant toutefois une totale fidélité au maréchal.
Le proche avenir de cette jeunesse est des plus morose car il lui est difficile
de trouver sa place dans une économie à la déroute. Les soldats prisonniers ne
sont pas là et, pourtant, environ un million de chômeurs battent la place; de nombreuses entreprises, privées des matières matières indispensables, doivent
licencier avant fermeture. La conscription n'étant plus, la compensation que
pouvait apporter l'appel sous les drapeaux n'est plus envisageable et les classes montantes se retrouvent sur le marché du travail
grossissant la masse des chômeurs déjà enregistrée. Cette situation peut être,
pour l'autorité occupante, à la fois dangereuse et bénéfique; dangereuse par sa
force, sa spontanéité, son besoin d'avenir; bénéfique, car, bien encadrée, ce
potentiel est utilisable. Le gouvernement de Vichy
crée alors les "Chantiers de Jeunesse", mesure seulement applicable en
zone libre, l'autorité occupante refusant une telle implantation en zone
occupée. Passant outre à ces restrictions on voit, à Bordeaux, les "Auberges de
jeunesse" se cacher sous le nom des "Compagnons de la Route". Le 25 juillet
1940, les statuts d'une association dite les "Compagnons de France" sont déposés
à la sous-préfecture de Lapalisse. D'autres regroupements d'accueil vont se
former tels les "Centres ruraux de la Jeunesse", les "Ateliers de la Jeunesse" ainsi que les "Centres de
Chefs et de Moniteurs".
La présence de cette jeunesse est proche de la provocation pour les autorités d'occupation; Hitler le fait savoir, le 9 novembre 1941 en déclarant:
"Les
territoires qui travaillent directement pour nous comprennent plus de 250
millions d'hommes; il est un fait certain, c'est que nous devons parvenir à
atteler ces hommes au travail sans ménagements."
Déjà, dans le journal "Le Matin" du dimanche 3 novembre 1940 paraissait un
panneau annonçant que la "Grande Allemagne" offrait du travail aux chômeurs et à
ceux recherchant un emploi; un appel aux spécialistes et manoeuvres masculins de
la métallurgie et du bâtiment, des briquetiers et des ouvriers et ouvrières
agricoles. La proposition était encore faite aux bonnes connaissant l'allemand
qui pourraient ainsi trouver un emploi dans des familles allemandes. Les
ouvriers mariés ainsi embauchés étaient assurés d'envoyer mensuellement 125
Reichmark, les célibataires pourraient verser jusqu'à 80 RM. Le salaire perçu serait le même que pour les ouvriers allemands. Quand aux familles
restées en France, elles bénéficieraient gratuitement de tous les soins médicaux
en cas de maladie. La propagande murale l'affirme: "L'Allemagne vous offre du
travail". La presse bordelaise se lance dans la brèche et la Petite Gironde comme
La Liberté du Sud-Ouest lance les appâts: totale liberté de l'ouvrier en dehors des heures de travail, de l'argent pour sa
famille qui, pendant les huit semaines suivant le départ, recevrait une allocation et un séjour gratuit, en Allemagne, pour ses enfants.
De quoi assourdir la fibre nationale de certains. Ceux-là pourront
s'enrôler auprès de l'Office du travail allemand au quai d'Orsay. Ils partiront par
la gare de l'Est nantis de victuailles offertes par la Croix-rouge. Les premiers
bureaux de recrutement seront ouverts en août 1940
1941, la Grande-Bretagne n'a pas cédé et, malgré cette dangereuse fixation, les troupes allemandes se
lancent dans l'opération Barberousse. Il est déjà certain que la guerre sera
longue et nécessitera de douloureux efforts au peuple allemand. On sait qu'un
puissant appui industriel est nécessaire et que, pour cela, il faut disposer d'une
main-d'oeuvre abondante que ne pourra fournir le peuple allemand militarisé.
Albert Speer, dans ses mémoires, reconnaît que Roosevelt comme Churchill (en
oubliant Staline) avaient su imposer à leurs peuples les épreuves que
nécessitaient les problèmes du moment. Dans l'Allemagne totalitaire, les hommes
au pouvoir n'étaient pas prêts aux sacrifices personnels et encore moins
disposés à en exiger à leur peuple. Comment ne pas penser alors aux peuples assujettis
sous le joug nazi, même si un tel calcul va à l'encontre des lois de la guerre.
Cette illégalité fut, on l'a vu, masquée par un appel aux volontaires. Une
proposition se voulant engageante dans une France déstabilisée, durement touchée
par le chômage.
Le premier convoi de 115 travailleurs quitte Bordeaux à direction de Hambourg, le vendredi 29 novembre 1940. Ils sont terrassiers,
charpentiers et mécaniciens. Tous sont chômeurs et sont âgés de 18 à 43 ans. Fin
septembre 1940, 80.000 volontaires ont choisi d'aller travailler en Allemagne.
Chaque mardi, un départ est organisé en gare Saint-Jean en direction de Paris, puis l'Allemagne. Des épouses acceptent de suivre
leur époux permissionnaire, revenant en Allemagne. Comme, par ailleurs, le chômage touche plus précisément les femmes, qui représentent
environ 70% des travailleurs sans emploi, on voit très rapidement celles ci se présenter aux bureau de recrutement; sténodactylos,
couturières, ouvrières ou manutentionnaires.
Le 9 juin 1941, départ de 40 hommes et de 40 femmes. Parmi eux se trouve le millième ouvrier engagé à Bordeaux; il reçoit un chronomètre
suisse.
Dés les premiers temps, Speer et Sauckel ne poursuivent pas les mêmes objectifs;
si Albert Speer pense "armement", le second semble décider à maintenir un confort
relatif aux membres du parti. Ainsi déclarait-il le 20 avril 1942 devant ses amis
Gaüleiter:
"Afin d'apporter aux ménagères allemandes et surtout aux mères de familles nombreuses... un
soutien efficace et de protéger leur santé, le Führer m'a chargé de prélever
dans les territoires de l'Est environ 400.000 à 500.000 jeunes filles saines et
robustes"
Speer note que si en Angleterre le nombre des aides ménagères avait baissé des
deux tiers en 1943, ce nombre, en Allemagne resta à peu près le même jusqu'à la
fin de la guerre. Le bruit circula dans la population que les fonctionnaires du
parti n'étaient pas en peine de trouver des domestiques.
Malheureusement, l'élan national français reste timide alors que les besoins de l'armée allemande deviennent de plus en plus grands. L'attaque de
l'U.R.S.S. est maintenant lancée. La production industrielle s'essouffle faute de main-d'oeuvre. Les exigences nazies deviennent
de plus en plus pressantes. Vichy harcèle les chômeurs français qui ne peuvent refuser de partir travailler en Allemagne sans se voir
supprimer leur allocation de chômage. D'ou la progression des engagements en début de 1942, soit 193 départs en quatre convoi. Un
feu de paille; les statistiques retombent dès le mois de mars.
L'autorité d'occupation ne peut accepter cet échec. Le gauleiter Fritz Sauckel, plénipotentiaire général pour tous les problèmes de
main d'oeuvre, nommé le 21 mars 1942 par Hitler lui-même, va se montrer plus "persuasif";
son efficacité lui vaudra le surnom du "Négrier de l'Europe". Le 7 juin 1942, le gouvernement français
met en place un "Comité d'information ouvrière et sociale", dont le président, nommé par Pierre Laval, va encourager
les ouvriers à partir pour l'Allemagne. Très vite, le 16 juin suivant, Pierre Laval propose le système de la "Relève", un
système apparemment simple consistant à la libération par l'Allemagne d'un prisonnier français pour trois travailleurs venant dans
les usines du Grand Reich. Cette simple proposition se met rapidement en place après le discours que le même Pierre Laval prononce
le 22 juin, confirmant au passage qu'il souhaitait la victoire de l'Allemagne "parce que, sans elle, le bolchevisme s'installerait
partout". C'était la "Relève".
Le 11 août 1942, le premier train de prisonniers rapatriés entre en gare de
Compiègne; Pierre Laval a voulu être présent, il est accompagné de Julius Ritter
représentant le Gauleiter Sauckel en France. Des photos sont faites. Elles
seront exploitées sous forme d'affiches. Pour autant, l'échec sera double car,
si les volontaires français sont plutôt rares, la bonne volonté allemande n'est
pas au rendez-vous; le retour de prisonniers ne répond pas aux accords passés.
Le 4 septembre, le gouvernement de Vichy édicte une loi permettant la réquisition d'ouvriers pour l'Allemagne, ce qui provoquera la démission du ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement, Jacques Leroy-Ladurie.
Ce texte va toucher les hommes de 18 à 50 ans mais aussi les femmes célibataires
de 20 à 35 ans. Les entreprises devront fournir l'état nominatif de leurs
effectifs et chaque établissement devra prévoir un "contingent" de travailleurs
pour l'Allemagne. Mais les exigences de l'occupant
sont pressantes, la France doit fournir un contingent de 250.000 hommes dont 150.000 ouvriers spécialisés; Pierre Laval, toujours aussi peu convaincants,
lance un nouvel appel aux ouvriers français, le 20 octobre 1942. La zone non occupée, elle aussi, sera touchée et devra fournir un
quart des ouvriers spécialisés demandés.
Le 11 janvier 1943,
Fritz Saukel exige que les 250.000 travailleurs soient livrés avant le 15 mars. Le 16 février 1943, le Service du Travail Obligatoire est mis en place: tous les
hommes nés en 1920, 1921 et 1922 sont mobilisés pour deux ans et devront partir
en Allemagne. Les réactions sont immédiates. Les jeunes, tout d'abord,
s'empressent de disparaître, pour ne pas partir; c'est la déploiement des
"réfractaires" vers les maquis. Certains membres de l'église, tel le cardinal
Liénard déclare que le départ pour le STO n'est pas obligatoire. Fritz Saukel,
le 9 avril 1943 exige maintenant 120.000 travailleurs français soient livrés en
mai et 100.000 en juin. Le gouvernement de Vichy décide le 29,mai que tous les
jeunes gens de la classe 42 devront partir en Allemagne tandis que les étudiants
des classes 39 à 42 seront appelés au 1er juillet Mais il faut encore prendre
des mesures contre les réfractaires; ce sera fait le 11 juin 1943, le
gouvernement de Vichy aggravant les mesures déjà prises sans omettre ceux qui
les aident. Par contre, le 6 août, Pierre
Laval dit non à la nouvelle demande de 500.000 nouveaux travailleurs formulée
par Saukel. Mais il faut savoir que le 23 juillet 1943, à Paris, lors d'une
conférence, Albert Speer proposait que les usines françaises travaillant pour les Allemands
bénéficient d'une protection contre l'action de Saukel
Certains travailleurs français ont pu bénéficier de permissions pour quelques
jours dans leur famille. Beaucoup omettent de repartir; à tel point que le 14
septembre 1943, les autorités allemandes suppriment ces autorisations jusqu'au
15 octobre. Le 17 septembre, Albert Speer, ayant pris en main l'ensemble de la
production de guerre allemande, confirmant sa proposition du 23 juillet, se met d'accord avec Jean Bichelonne pour la
création d'une nouvelle catégorie d'entreprises: les Speer-Betriebe qui
recevront en priorité les matières premières nécessaires et dont les ouvriers ne
pourront être envoyés en Allemagne; c'était là une protection contre Saukel. Les
départs vers l'Allemagne sont suspendus jusqu'à la fin de l'année 1943. Au début
de 1944, Saukel, profitant de l'éloignement de Speer malade revenait sur ses
exigences et, portant à 850.000 hommes le nombre de travailleurs requis obtenait
d'étendre les classes de réquisitions à tous les hommes de 16 à 60 ans et les
femmes sans enfants de 18 à 45 ans; une quatrième "aktion" qui allait se solder par
un échec, point final aux appétits nazis,
En conclusion, il est nécessaire de rappeler que la France est le pays qui a fourni le plus de
main-d'oeuvre à l'industrie nazie: 400.000 travailleurs volontaires, 650.000
requis au titre du S.T.O., près de 1.000.000 de prisonniers de guerre et environ
un million de travailleurs employés par les entreprises françaises oeuvrant pour
l'économie de guerre nazie.Donc, un total de 3 millions de personnes