Le réseau Buckmaster. |
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"Résistance Unie" n°0 mai 1987 Lucienne Beaupertuis.
Le réseau Hilaire Buckmaster fut créé dès le mois de janvier 1943 par Faytout Rodolphe et Dihars
Alcide, de Pujols.
Dès sa création, mon mari et moi y avons adhéré. Lui, pour aller sur les terrains faire des parachutages;
quand à moi, mobilisée au poste T.S.F pour écouter les messages venant de Londres.
Les premiers mois, tout alla très bien. Il y eut un premier parachutage au lieu dit "la Forêt",
sur la commune de Pujols. Faytout transporta les armes reçues chez nous avec son petit camion. Il
y en avait 2 tonnes et 500 kilos. Il entreposa son chargement, aidé de mon mari, dans notre chai
à bois, sous les fagots.
Suivent les parachutages de Doulezon, Saint Antoine, du Queyret, Soussac où Faytout était le responsable;
il était toujours présent. Il aidait à cacher les armes et savait exactement où tout se trouvait.
Suivent plusieurs parachutages à Saint-Antoine de Queyret, dont un au milieu de l'été, le 23 août,
où une femme descendit en parachute sur le terrain: mademoiselle Annette, avec une valise pleine
d'argent et une mission: libérer des agents venant de Londres qui avaient été arrêtés. Nous avons
su ensuite que la chose avait réussi par mademoiselle Annette que nous avons revu après la Libération.
Vint le dernier parachutage à Saint-Antoine du Queyret; le message était "Jacqueline a une robe
rouge". Ma mission était d'avertir immédiatement Faytout, ce que je fis.
Le parachutage se fit sans encombres. Quelques jours plus tard, vers le 20 octobre 1943, nous apprenions,
mon mari et moi, que Faytout était arrêté par les Allemands. Aussitôt, avec mon mari, nous entreprenions
de changer le dépôt de place pour le cas ou Faytout parlerait. Faire un trou et transporter tous les
containers, ce n'était pas trop facile; surtout qu'un avion "boche" survolait la région à basse
altitude.
Le lendemain, nous avons appris l'arrestation de Dihars Alcide, de son fils Jean, puis de deux
jeunes gens qui se trouvaient cachés chez Dihars Pierre Mignon et Riols. Le matin du 23 octobre,
j'étais partie à la ville voisine, lorsque les Allemands sont venus arrêter mon mari. De retour
j'attendis à la maison. J'appris très vite les jours suivants que tous les membres du réseau étaient
arrêtés et se trouvaient confrontés à Castillon, à l'hôtel des Voyageurs, siège de la Gestapo.
Quatre jours après l'arrestation de mon mari les Allemands sont revenus chez nous. Je les regardais
descendre l'allée, j'avais très peur. Dans une petite voiture, la première, je reconnus Faytout à
côté du chauffeur et, derrière, deux gradés allemands. Suivait un camion bâché occupé par des S.S
qui parlaient bien le français. Je ne fus pas inquiétée tout de suite.
Faytout descendit de la petite voiture puis s'avança tout droit vers le chai à bois et leur fit signe
de la main, "c'est ici", puis, il est revenu, tout seul, s'asseoir dans la petite voiture; aussitôt,
un ordre bref et tous les S.S jetèrent le bois dehors.
A ce moment, un gradé et un interprète s'avancent vers moi, prennent mon identité et me disent:
"Votre mari a parlé; il a tout dit; allez trouver ma femme, elle vous conduira au chai à bois où
se trouvent les armes."
J'ai tout de suite compris que mon mari n'avait rien dit, mais j'étais morte de peur. Comme il n'y
avait plus d'armes sous les fagots, mon interrogatoire a commencé. Les "boches" me firent entrer
dans la cuisine, je me souviens. La grande table au centre de la pièce sur laquelle ils s'amusaient
à m'asseoir dessus et me relever sans que je touche les pieds par terre. Ils m'accusaient, évidemment,
d'avoir toutes les armes et d'avoir des complices.
Mon interrogatoire a duré du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi. J'ai failli "craquer",
surtout lorsqu'ils m'on dit "Vous faisiez partie du réseau, c'est vous qui avait averti monsieur
Faytout du message: "Jacqueline a une robe rouge". Comme je faisais voir que je ne comprenais pas
ce qu'ils disaient (avec la peur, j'avais la gorge serrée à tel point que je n'avais plus de voix);
ils ont fait venir Faytout devant moi, je le verrai toute ma vie. Il arrivait tête baissée, sans
regarder personne.
Ils lui ont posé la question du message, trois fois; il n'a pas répondu, puis, sur un ordre bref et
en colère, il est allé s'asseoir tout seul dans la voiture.
Nous étions au milieu de l'apès-midi et les armes n'étaient toujours pas trouvées et toujours j'étais
secouée. Quand la petite voiture partit et revint, un moment plus tard, avec un détecteur de mines...
ils eurent vite trouvé. A leurs cris, je le compris. Un bon moment après, ils vinrent me chercher
et m'emmenèrent là où ils venaient d'extraire le dépôt. En me faisant voir le tas, un officier m'a
dit "Voila votre oeuvre". J'ai tout juste eu la force de dire: "Qu'est ce que c'est çà". C'était
fini, je ne pouvais plus rien articuler.
Je suis restée, là, clouée sur place, sans bouger, sans pouvoir parler, ni pleurer, rien. La peur
me paralysait totalement.
A la nuit, ils se sont mis à tout charger dans le camion, et deux véhicules sont partis.
Moi, je suis restée un bon bout de temps sans bouger, pensant qu'il restait encore des "boches" ou
qu'ils allaient revenir. Puis, subitement, j'ai pensé à ma fille qui n'était pas revenue de l'école.
Où était-elle? Chez un voisin, peut être. Mais, lequel? Elle n'avait que dix ans. Je voulus aller
chez un voisin le plus près de chez moi. Mais, de loin, on me cria de revenir chez moi, que ma fille
ils ne l'avaient pas, mais de ne pas approcher de chez eux. N'osant plus aller nulle part, je rentrais
chez moi et attendis au lendemain pour retrouver ma fille que de très bons voisins avaient eu l'idée
de garder avec eux pour la nuit.
Le cauchemar n'était pas fini. Il commençait pour mon mari qui fut envoyé dans les camps de la mort.
Voici la liste des camps où il a séjourné du mois d'octobre 1943 au 20 avril 1945