La Gironde sous l'occupation. |
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Chroniques de souffrances et de lumière, Pierre Boyries.
Histoire de la Résistance, tome IX, pages 201-203, Henri Noguères
Des
hommes qui avaient réussi à échapper aux
désintégration successives de l'O.C.M. s'étaient
regroupés sous l'autorité de Marguerite Crauste pour
constituer le groupe "Alerte" ou "France-Alerte". Cette femme avait
noyauté l'administration des P.T.T. de la place Saint-Projet,
à Bordeaux et y recueillait d'utiles renseignements.
En avril 1944, un membre du groupe apprend que les Allemands
constituent à Jonzac, en Charente inférieure, dans les
anciennes carrières de Heurtebise, transformée en
champignonnières, en énorme dépôt de
munitions. Le lieutenant F.F.I. René Marchadier, qui a
été chargé d'exploiter ce renseignement, s'est
rendu sur place et a appris que la réalité
dépassait tout ce que l'on pouvait imaginer: les Allemands ont,
en effet, entreposé dans ces carrières la valeur de 120
trains de munitions et d'explosifs, et un parc stratégique sur
roues d'une dizaine de trains. Les munitions sont alloties,
tarées, entreposées par chargements homogènes pour
wagons ou pour camion; c'est à dire prêtes à
être à tout moment engagées dans la bataille.
Jonzac constitue en outre le dépôt de la Kriegsmarine pour
l'Atlantique et la mer du Nord.
La protection assurée par une voûte rocheuse naturelle de
plus de vingt mètres rend illusoire toute opération
aérienne: un raid de bombardiers serait très certainement
inopérant... et détruirait inévitablement Jonzac,
entraînant le massacre de ses habitants.
L'attaque par un commando extérieur ne peut pas davantage être envisagée en raison de l'importance
du dispositif de protection.
Il ne reste donc qu'une seule solution. René Marchadier, de retour à Bordeaux, a pu expliquer à
son chef, le commandant Salina (Launay), que cette solution n'était pas hors de portée:
la destruction par un sabotage effectué sur place, de l'intérieur...
Le saboteur était tout trouvé en la personne de
Le 4 juin, en prévision du débarquement imminent et de peur que les Allemands puisent dans le
dépôt pour alimenter la bataille. Londres envoi à l'O.C.M. l'ordre de détruire les carrières
d'Heurtebise, cet ordre précisant que si la destruction n'intervenait pas dans les prochains
jours, la R.A.F. devrait intervenir...
"On se réunit 32 rue de la Devise, raconte le lieutenant Marchadier, sous-chef du Groupe Franc "Alerte", chez Mademoiselle Crauste. C'est une femme qui a de réelles aptitudes d'organisation et une foi ardente en la France. C'est chez elle qu'arrivent les courriers. Nous n'avons oas d'explosifs en ce moment, mais mademoiselle Crauste, de son pseudo Jacqueline, sait toujours où il y en a, et, un soir elle en apporte la quantité voulue dans un carton à chapeaux. Elle est suivie d'un artificier Roger, qui nous apprend leur emploi. Je me rends à Jonzac par le train avec ces explosifs et j'explique à Ruibet leur maniement. Les crayons ont un retard possible de détonation de six heures." |
Le 8 juin, Ruibet met ses explosifs
en place, règle les crayons pour que tout saute à 15 heures pendant le repas des travailleurs.
Mais rien ne se produit: les crayons n'ont pas fonctionné. Marchadier fait à nouveau le dangereux
voyage. Le 18 juin, nouvelle tentative, nouvel échec.
Quelques jours après, Ruibet invoque la nécessité
de consulter à Bordeaux un médecin spécialiste, et
se rend chez mademoiselle Crauste. Il y reçoit un revolver et de
nouveaux explosifs. Mademoiselle Crauste essaie elle-même deux
crayons détonateurs, sans se rendre compte, sans doute, des
multiples dangers qu'elle court. Et, le 29 juin, Ruibet repart pour
Jonzac.
C'est le 30 juin à 7 h 30 que, pour la troisième fois, le sous-lieutenant Ruibet met en place
ses quatre dispositifs de plastic. Mais, cette fois, il a pris quelques mètres de cordeau presque
instantané, bien décidé à mettre le feu à la main si les détonateurs ne fonctionnant
pas.
Pendant deux jours, les explosions se succéderont sans arrêt, dans l'immense carrière, et l'on
retrouvera, quelques jours après, le corps du sous-lieutenant Ruibet et ceux de dix-sept soldats
allemands.
Gatineau, reconnu par les Allemands, est arrêté,
livré à la Gestapo et torturé, sans qu'il parle.
Cependant, il apprend que des otages ont été
arrêtés et vont être fusillés: cinquante
cercueils ont été commandés en ville par les
Allemands. Il se dénonce alors. Il sait, cependant, que ses
souffrances vont reprendre pour lui arracher les noms de ses camarades
de combat de Bordeaux. Mais il tiendra jusqu'au bout, sans livrer un
nom. Et le 1er juillet, à 21 h 30, il
est fusillé, en soldat, les yeux non bandés. Ses dernières paroles sont "Vive la France!"
Gatineau n'a livré aucun nom du petit groupe de sabotage et d'action "Alerte", qui comprenait:
Bouillon, dit Martial, qui devait être tué à l'attaque de Montluçon; Robert Laurentz, qui devait
tomber à l'attaque de Saint-Jean-d'Angély; Pierre Galais, qui devait être tué devant Metz, le 2
septembre.
Il n'a pas livré, non plus, le nom de Marguerite Crauste,
responsable du Groupe Franc "Alerte", héroïne de la
Résistance P.T.T. Mais celle-ci sera démasquée par
le télégramme reçu du sous-lieutenant Ruibet, le 8
juin. Arrêtée le 14 juillet par six feldgrau, jugée
au fort du Hâ par le tribunal militaire allemand, elle sera
condamnée "en soldat", dira le colonel-président,
"à être fusillée le 24 août". La
libération de Bordeaux la sauvera miraculeusement du peloton
d'exécution.
Au cours de l'audience du Tribunal allemand, dira encore le
général Rollot, un colonel allemand devait dire, dans sa
déposition, que ce dépôt était, en
importance, le deuxième de l'armée et que sa destruction
était plus dure à supporter par le Reich que la perte
d'une bataille.