L'étudiante: Je vais vous demander de vous présenter. "
Jean-baptiste DUVAL: "Alors Jean Baptiste Duval, né le 10 mai 1920 à Bordeaux, fils d'une famille de commissaires-priseurs
à Bordeaux puisque depuis 1860... mon grand-père était commissaire-priseur, mon père était commissaire-priseur, mon frère Jacques
qui vit toujours et qui est un vieux monsieur était aussi commissaire-priseur avec son fils. Cela fait donc quatre générations de
Duval commissaires-priseurs à Bordeaux. Moi-même, je me destinais un peu à cette profession mais la guerre a tout changé parce que
je présentais mon droit en 1939 et mes deux frères: le frère aîné était dans l'artillerie hippomobile donc il était sous les drapeaux,
il faisait la guerre et mon frère Jean Pierre était chef de char dans les chars de combat, les R.35, lui-même étant sous les drapeaux.
Malgré que j’étais étudiant, j’ai pris la décision, à l’encontre de l’avis de ma famille, de m'engager pour la durée de la guerre.
Je me suis engagé donc dans l'aviation, comme pilote. J'ai été reçu comme pilote. Mais malheureusement, ils ont très peu d'appareils,
pas assez. On m'a versé dans les bombardements, c'est à dire je suis devenu mitrailleur, bombardier, navigateur. A ce titre, j'ai
suivi des cours de perfectionnement à l'Ecole d'Aviation de Pont Long à Pau. Et à la percée de Sedan le 10 mai, on nous a transférés
à Blida en Algérie où j'ai suivi mon perfectionnement. Et je suis devenu au bout de quelques temps sergent mitrailleur, bombardier,
navigateur. Et au moment où j’allais monter au front sur des vieux Potez 25 et sur les célèbres blocks 200 et 210, qu'on appelait
"les cercueils volants", l'armistice a été signé. Donc - je vous passe certains détails - je suis revenu à Bordeaux, contre
l'avis d'ailleurs de mes parents qui m'avaient envoyé un télégramme en Algérie où ils m'avaient trouvé une situation à Alger dans
une société de vins qui s'appelait, si je me souviens bien... j'ai oublié le nom mais cela n'a aucune importance. Je n'ai jamais
reçu le télégramme donc je suis revenu à Bordeaux. J'ai été surpris d'ailleurs de trouver Bordeaux occupé et à partir de Langon de
voir une femme monter, une femme habillée en soldat, pour vérifier les occupants qui allaient à Bordeaux. Donc, c'était déjà la
zone occupée. Je suis rentré à ce moment-là comme clerc dans l'étude de mon père qui était commissaire-priseur à Bordeaux, rue de
Lurbe.
Après quelques mois, c'est à dire je vous parle en... nous sommes déjà en 1940-1941, je ne peux pas vous donner les dates exactes.
Je suis rentré dans la Résistance et dans le célèbre groupe de Grandclément. 1941, il n'y avait pas beaucoup de résistants à l'époque,
à cette date. La preuve, il y avait tellement peu de résistants que quand j’ai été pris par les Allemands et que je suis revenu,
je n'ai jamais été homologué par Londres. Et finalement, je crois qu'il n'y a eu aucune homologation de Londres pour le groupe de
Grandclément en cette date. Grandclément avait été, à cette époque, jugé très sévèrement par de Gaulle qui l'avait même condamné
à mort. Il a été assassiné avec sa femme dans les bois du Muret, ce qui a été un geste ignoble parce que j’estime que Grandclément
était un grand bonhomme. Je l'ai connu personnellement. Je le recevais chez moi à cette époque là dans mon appartement où j'habitais,
57, cours Clémenceau. Ce célèbre 57, cours Clémenceau était l'Amirauté allemande, c'était la Reichsmarine. J'habitais au 4ème étage
et le 1er et le 2ème étage étaient occupés par la Reichmarine. Et chaque fois que je rentrais dans cet appartement... Oh! douce folie,
c'est une chose que je ne referais jamais plus maintenant si cela devait être refait. J'étais avec Grandclément, nos dossiers bourrés
de tracts de propagande et on montait tranquillement faire nos petites affaires chez moi au 4ème étage. Et on était salué par le poste,
la sentinelle allemande avec le salut hitlérien pour nous accueillir. Petite anecdote de choses qui étaient un peu ridicules en soi-même,
c'était une bravade. Mais au fond, c'était peut être l'endroit où on était le plus tranquille finalement. Donc j'ai fait partie
de ce groupe de Grandclément où mon but était essentiellement de... vu mes relations dans le port autonome puisque j'avais des amis
qui étaient employés là, je connaissais les entrées et les sorties des sous-marins alors, que je communiquais à mon groupe. Toutes
les semaines, j'avais le résultat des entrées et des sorties des sous-marins. Mais, est-ce que tous ces renseignements étaient communiqués
à Londres ? Je n'en sais rien. Mais enfin, cela avait une certaine valeur. Et mon but était en même temps et ça, peu de gens ont le
courage de le dire, non pas de combattre principalement les Allemands mais de combattre aussi les communistes français. C'est ce
qu'on a reproché au groupe de Grandclément. On en a fait une affaire politique, parce qu'au départ, lui-même en avait fait une affaire
politique. Nous étions chargés de connaître les cellules des communistes français, les surveiller peut être pour pouvoir mieux les
désarmer parce que les communistes français à cette époque ne bougeaient pas. Si certains ont bougé, c'est à titre personnel mais
le parti communiste français ne bougeait pas. Pourquoi ? Parce que vous aviez l'association entre l'Allemagne et la Russie et le
parti communiste français ne bougeait pas. On a cru, du fait que Grandclément a été arrêté à la suite de l'arrestation de sa femme,
il a été obligé de composé avec les Allemands. C'est exact. Il a été obligé de composer avec Dohse. Pourquoi il a composé avec Dohse?
D'abord pour "sauver sa peau et la peau " de sa femme. Et qu'est-ce qu'il a donné ? Il n'a jamais donné aucun nom de cadre.
Moi, j'avais dans la Résistance des cadres comme le docteur Seynat qui était adjoint au maire à l'époque, qui était mon chef direct
après Grandclément, il était propriétaire d'un très beau château du côté de Langon, le château Malromé. Et ensuite, il y a eu Picaglio,
Picaglio qui y était aussi et c'était grâce à lui que j’étais entré dans ce groupe, Picaglio dont j'avais au fond la connaissance
de ce groupe de Grandclément. Donc, moi je vous donne un point de vue personnel de personnes avec qui j'ai vécu assez intimement
parce que j'ai connu Grandclément, j'ai su ce qu'il a fait, je sais les risques qu'il a pris. Et j'ai toujours reproché à de Gaulle
la décision qu'il a prise de l'éliminer. Il a été exécuté par "Aristide" qui était un des chefs des F.T.P., donc mouvement
communiste. Tout ça se rejoint. C'est ignoble d'avoir assassiné non seulement un bonhomme qui avait donné des preuves de loyauté
vis à vis de la France, il a été un des premiers à faire de la Résistance sur Bordeaux, il ne faut pas l'oublier. Il a été le premier
à nous communiquer une flamme que de Gaulle même ne nous avait pas encore communiqué à cette époque. De Gaulle, pour nous était un
inconnu. On connaissait beaucoup mieux Giraud que de Gaulle, il ne faut pas l'oublier ça. Et puis le célèbre discours de De Gaulle
à la radio, il y a peu de gens qui l'ont entendu. On l'a su beaucoup plus tard. Voilà. Alors donc je faisais partie de ce groupe.
On essayait de s'en sortir comme on pouvait. Il faut dire qu'à notre âge... Pourquoi on a fait de la Résistance ? On a fait de la
Résistance d'abord parce qu'on aimait l'aventure. Pour nous, c'était... je ne dirais pas un jeu parce qu'on risquait sa peau, mais
on avait eu le bonheur d'avoir des parents qui étaient anglophiles donc nous étions poussés à résister aux Allemands. Et puis, il
faut reconnaître que c'était une chose intenable de voir tous ces individus dans les rues, surveiller, nous contrôler et tuer. C'était
assez impensable. Donc, c'est pour ça qu'on a fait de la Résistance, parce que nous étions d'abord jeunes et aventureux et ensuite
patriotes. Il faut employer le mot tel qu'il est. Je m'étais engagé pour la durée de la guerre donc j'avais l'envie de me battre.
Et bien justement cette envie de se battre, à cette époque là on ne battait pas tellement. C'était trop tôt. Je suis entré dans la
Résistance trop tôt.
Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? En accord avec Grandclément, on a organisé mon départ pour Londres. Mais comment fallait-il
passer pour Londres ? Il fallait passer par la frontière espagnole. Alors, j’ai connu grâce à mes amis un passeur qui s'appelait
Elissondo et avec ce passeur, j'ai pris rendez-vous quelques jours à l'avance, à telle heure, à l'hôtel Ohanzea à Aïnhoa. J'ai eu le
bonheur, malgré que c'était une zone rouge, j'ai le bonheur de pouvoir arriver à Aïnhoa le 27 févier 1943 sans encombre, ce qui était
déjà assez impensable puisque tout était contrôlé: le petit train qui partait de Bayonne pour aller à Aïnhoa était contrôlé par les
Allemands jour et nuit. Et là, pourquoi il n'a pas été contrôlé ? Parce que je crois qu'il y a eu un incident sur la voie ferrée
qui a fait qu'il n'y a pas eu de contrôle et je suis arrivé sans encombre à Inua. Et là, je suis allé à l'hôtel Ohanzea qui était
tenu par un certain M. Terrien qui m'a reçu. Il n'était pas très chaud de me recevoir bien qu'il m'attendait, il avait été averti
par mon ami. Alors, il m'a caché pendant quelques heures. Et puis, il faut reconnaître que cet hôtel était " bourré "
d'officiers allemands. A un moment donné, il m'a dit: " Je ne peux plus vous garder. Il faut que vous partiez. " Mais je
lui dis: " Mais, il est trop tôt! " Il devait être 11 heures ou midi et j’attendais à 4 heures. Elissondo devait me trouver
à l'hôtel Ohanzea à 4 heures de l'après-midi. Je lui dis: " Mais ce n'est pas possible. Si vous me mettez dehors, je suis pris.
" Il me dit: " Ce n'est pas possible. Je ne peux pas. Vous partez! " Et je suis parti. Je n'avais pas fait 10 mètres
sur la route qu'une auto est arrivée où il y avait deux types de la Gestapo et de la douane. " Papiere ! ". Alors, malheureusement,
tous mes papiers étaient " bourrés " de mes références militaires. Je n'ai pas pu jouer le jeu en disant: je suis là pour
du marché noir ou autre chose. J'aurais pu essayer de m'en sortir. Mais tout mon portefeuille que j'avais sur moi... J'avais
ma plaque d'immatriculation, j'avais mon livret militaire, j’avais mon insigne de personnel navigant de l'aviation... J'avais
tellement de choses sur moi qu'on m'aurait trouvé avec une mitraillette dans les mains, je n'aurais pas été plus dangereux pour les
Allemands. Simplement ça, je n'ai pas pu me défendre. Alors à un moment donné, j'ai avoué, j'ai dit: " Oui. Je voulais vous
combattre. Et alors ? " Ils m'avaient un peu "tabassé" mais ce n'est pas ça qui m'a fait dire ça. Il fallait que je le
dise, que j’ai au moins la satisfaction d'être pris pour quelque chose. J'ai eu tellement d’amis qui ont été pris pour rien. J'ai
eu des amis qui ont été pris parce qu'ils venaient voir un frère qui était instituteur et qui sont morts en camp de concentration
d'une façon lamentable, manquant de courage. Pourquoi ils manquaient de courage ? Parce qu'ils n'avaient rien fait ces pauvres
bougres là. Alors donc j'ai été pris par les... Là, quand ils ont vu toutes les preuves que j’avais sur moi et, heureusement les
papiers compromettants que j’avais, j’ai pu les avaler. J'avais des petits mots écrits en tout petit, des petits mots sur des bouts
de papier pour... j'avais des adresses du côté de Lisbonne ou en Espagne, je ne me souviens plus. J'avais donc des choses compromettantes
écrites qui auraient pu compromettre pas mal de gens. Donc j’ai eu la chance de pouvoir avaler au moins ces choses là si je n'ai pas
pu avaler mes papiers militaires, j'ai pu avaler ça. Et je suis resté donc enfermé là, à la douane, pendant 24 heures ou 48 heures.
Ils n’avaient rien pour me faire manger alors ils m'amenaient avec une sentinelle au restaurant basque. J'ai fait plusieurs repas
dans ces conditions: seul avec une sentinelle, la mitraillette braquée sur moi. Je ne me souviens plus ce qu'il avait exactement.
Mais, ne me quittant pas des yeux comme si j'allais m'évader. Je n'aurais pas pu m'évader. Ce n'était pas possible. Même si j'avais
pensé aller aux water-closets pour m'enfuir par la fenêtre, manque de chance: la fenêtre était grillagée. Donc je n'avais pas cette
possibilité. Mais, il y a un fait très bizarre: j'étais entouré de Basques, je suis originaire de Basque puisque je suis un petit
fils Juan Chuto - c'est un nom typiquement basque - je n’ai jamais vu dans l'œil du Basque de la pitié ou une complicité ou une
amitié. Tous les gens qui m'entouraient dans ce " foutu pays " dont je suis originaire, je n’ai eu aucune complaisance,
rien. Ils me regardaient comme si je n'existais pas. Alors j'ai été enfermé à la Caserne Boudet pendant quelques jours, célèbre
caserne à Bayonne. Non, pas Caserne Boudet ! Caserne Boudet, c'est à Bordeaux. Elle portait un autre nom. A Bayonne, c'était...
défaut de mémoire. Donc j'étais enfermé à Bayonne - Villa Chagrin, Villa Chagrin de triste mémoire - en cellule. Ensuite, j’ai
été enfermé à la Caserne Boudet à Bordeaux où j'ai eu la chose extraordinaire dans ma vie qui s'est passée: j'ai eu la visite de
mes parents. Pourquoi ? Parce que mon père avait vécu deux ans en Allemagne et deux ans en Angleterre pour apprendre l'allemand
et l'anglais. Donc papa parlait parfaitement l'anglais et l'allemand. Autant, il était anglophile, autant connaissant les Allemands,
il ne pouvait pas les voir, il m'avait raconté sur eux des choses ignobles. Donc, tout ce que j'ai pu voir par la suite, je me suis
toujours souvenu de ce que pouvait me raconter mon père. Et comment mes parents sont venus me voir et m'embrasser ? C'était une chose
impensable à la Caserne Boudet. C'est parce qu'il y avait un dénommé Guignard qui était plus ou moins... je ne sais pas ce qu'il
faisait comme commerce avec les Allemands. Il faisait du trafic avec les Allemands. Ce Guignard avait été le charbonnier qui nous
avait livré dans la propriété de mes parents à Fargues-St-Hilaire du charbon. Il faisait la profession de charbonnier pour faire plus
ou moins du marché noir avec les Allemands. Et grâce à ça, il avait dit à mon père: " Vous voulez voir votre fils ? " Puisque
mes parents le savaient. Par qui ? Peut être par lui. Je ne sais pas comment ils avaient su ça. " Si vous voulez voir votre fils
qui est à la Caserne Boudet, moi je me charge. ..". Et sans aucune autorisation, il les avait emmenés là-bas. Mes parents auraient
pu être enfermés comme moi et ne plus revenir. Mais tout s'est très bien passé parce que mon père s'est mis à parler allemand avec
les officiers allemands. Tout s'est très bien passé. J'ai pu embrasser mes parents qui m'ont réconforté moralement mais qui m'ont
vu dans un piteux état: j'avais déjà de la dysenterie, je n'étais pas brillant. Enfin tout s'est bien passé. Mes parents sont repartis.
Et j'ai filé ensuite comme tous à Royallieu, c'est à dire à Compiègne où là je suis resté quelques jours seulement. Et quand j'ai
demandé: " Où va-t-on aller ? Où va-t-on nous enfermer ? " Même les soldats, ce n'était pas des S.S. à Royalieu, je ne
sais pas si ce n'était pas la Wermarcht, ils n'étaient pas au courant de là où on nous amenait.
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