André DUMON
Extraits de l’allocution André, né le 31 mai 1924 à Cenon (33) où il vit jusqu’à l’âge de 7 ans; puis rue du Portail, quartier Saint-Michel
à Bordeaux.
de remise des insignes de
Chevalier de la Légion d’Honneur,
par Guy Chataigné, le 30 novembre 2003.
Père, artisan menuisier, acquis de longue date aux idées progressistes. André fortement influencé par son père.
- 1935; entre aux Pionniers.
- 1936; témoin des luttes du Front Populaire, des grèves, participe aux collectes de vivres pour les soupes populaires
- avril 1939 – guerre d’Espagne,
son frère Maurice s’engage dans les Brigades Internationales (35.000 hommes, dont 10.000 Français) sous les ordres d’André Marty,
Charles Tillon, Rol-Tanguy. Avec 3 jeunes d’origine espagnole, il tente de s’engager en se présentant au Bureau de Recrutement
de Saint-Sébastien, où ils sont refoulés en raison de leur jeune âge.
- 1938; apprenti tailleur chez Sintas, un vieux camarade établi rue Porte-Dijeaux.
- 1939 (15 ans) entre aux Jeunesses communistes.
- Guerre de 1939.
Le 29 juin 1940; revenant de son travail, il voit les premières unités allemandes entrant dans Bordeaux par le cours Victor
Hugo. André a 16 ans et 1 mois.
- juillet 1940. Manifeste immédiatement son refus de la soumission, sa volonté de lutte.
- août 1940. Charles Tillon, dirigeant communiste, ami du père d’André, recrute André qui se retrouve dans le 14ème
arrondissement de Paris. C’est le début de sa vie clandestine. Pendant 6 mois, il reçut une formation. Connaît André Georges
qui deviendra le légendaire Colonel Fabien, ainsi que Rol-Tanguy qui avait son premier P.C. sous la statue du lion, place
Denfert-Rochereau.
- Distribution de tracts dans les 14ème, 15ème arrondissements, aux alentours de la Place d’Orléans et à
Montrouge.
- 1941; en relation avec d’autres jeunes, notamment des serveurs de restaurants et de cafés, ils subtilisent des armes de poing
aux Allemands; ces armes sont portées à Malakoff, passage d’Arcole et à Montrouge, route de Bagneux.
- Début 1942; il est repéré et filé par la police. Rol-Tanguy le met en rapport avec le général de Bénouville, responsable de
l’Armée Secrète (A.S.) dans le même secteur de la rive gauche. Celui-ci l’agrée sans hésiter. André sait que désormais ses
missions s’organisent depuis Londres. Où il part, avec 3 autres résistants, par un Lyssander, avion léger britannique, qui
redécolle d’un aérodrome de fortune, en région parisienne.
Rencontre le capitaine André Dewavrin (futur colonel Passy), chef du B.C.R.A. Stage de 3 mois en école de parachutage de la R.A.F, à l’usage
d’agents de différentes nationalités devant être largués en différents points de l’Europe occupée. Ils doivent apprendre à sauter
et à dissimuler leur parachute.
Avec faux papiers et cartes de la région, il est parachuté pour la première fois à Excideuil (Dordogne). Récupéré par Lyssander.
Sept autres parachutages vont suivre en Dordogne et en Corrèze. Son pseudonyme est "Trois Pingouins" . Il sera toujours accompagné
d’un radio de 25 ans, Robert.
- avril 1942; sur les ordres de Londres, il souscrit un engagement pour 5 ans au 21ème R.I.C de l’Armée d’Armistice,
à Toulon. Il doit au colonel Fabre, gaulliste, d’être incorporé sans formalité, alors qu’il n’a pas 18 ans. Sa mission consiste
à infuser l’esprit de résistance chez les jeunes recrues et, d’une façon générale, à faciliter le débarquement allié en Afrique
du Nord. Muté au 2ème R.I.C à Perpignan, puis à Carcassonne. Huit jours lui sont impartis. Il quitte sa formation, ce qui lui
vaudra d’être recherché comme déserteur. (Enquête de gendarmerie dans la Meuse, en 1952) Conformément aux ordres, il rejoint
Excideuil où est resté son radio.
C’est en ce printemps 1942 que se situe un épisode qui témoigne du sang-froid et de l’intrépidité d’André ainsi que de son
mépris du danger. Il s’agit de transporter deux valises de grenades de Périgueux à Brive en train, avec Charles Pagnon, lieutenant des F.T.P qui
s’illustrera dans les combats de la Libération. Les deux compères se trouvent dans un compartiment avec leur dangereuse cargaison,
en compagnie de braves paysans qui, eux, transportent des victuailles. Surviennent deux gendarmes chargés de débusquer les opérations
de marché noir. Au moment, où ils invitent André et son compagnon à ouvrir leurs valises, ceux-ci obtempèrent sur le champ et,
dans un même geste, sous le regard terrorisé des voyageurs, ils dégoupillent chacun une grenade et proposent illico le marché
aux pandores.
- "Ou vous ne nous avez pas vu et vous restez avec nous jusqu’à Brive – ou vous nous avez vu et tout saute.»
- "Bon. On ne vous a pas vus.»
C’est ainsi que, quelques minutes plus tard, ils sortent par une porte dérobée de la gare de Brive, encadrés par les gendarmes qui
portent les deux valises.
Un épisode qui reviendra régulièrement dans les conversations qu’André aura avec Charles Pagnon, mort alors qu’il était devenu
conseiller général d’Excideuil.
En mai 1942, Charles Tillon lui confie la délicate mission de prendre contact avec certains soldats allemands, présélectionnés
par la Résistance et connus pour leurs sentiments antinazis. Il s’agit de recueillir des renseignements sur leurs unités et les
mouvements de troupes; de leur remettre des plis en allemand tendant à les démoraliser et les convaincre de déserter. Ce travail
sera étendu aux départements de la Gironde, de la Charente et de la Dordogne, avec un point de passage entre les deux zones à
Montpon s/l’Isle.
A noter que ce sont ces déserteurs de la Wehrmacht qui participeront aux combats de la Libération en Dordogne, en Lot-et-Garonne
et en Gironde, notamment à Sainte-Foy-la-Grande.
En juin 1942, André n’a que 18 ans. Il est rappelé à Londres pour être investi d’une nouvelle mission par Passy:
recueillir auprès des réseaux bretons des informations sur certains ouvrages de défense, constituant l’embryon du Mur de l’Atlantique,
sur les côtes bretonnes.
En juillet 1942, son 9ème parachutage l’amène à Quimperlé, dans le Finistère. Ce sera son dernier. Son radio a déjà
été mandé dans le secteur par Londres.
Dans le même temps, André se voit confier une nouvelle mission, pour le compte du Front National. L’objectif est de
contacter des militants pour structurer une organisation dans la région de Quimperlé. Il est logé dans une famille de résistants.
Mais, dans le cœur de cet été 1942, la traque et la répression policière et nazie sont féroces, dans tout l’Ouest, comme dans
le Sud-Ouest. On arrête, on torture, on massacre; on fusille: 70 à Souge, le 21 septembre.
A la suite d’attentats, ses logeurs sont arrêtés en début octobre. Le père et le fils sont affreusement torturés. Ils ne
parlent pas. La femme, également arrêtée, terrorisée, folle de douleur subit le chantage, «Parlez; votre mari et votre fils
auront la vie sauve » La malheureuse livre quelques noms, premiers maillons d’une chaîne que les tortionnaires vont s’employer
à compléter. Les deux hommes sont achevés devant elle, cependant qu’elle est emprisonnée.
André prend immédiatement toute la mesure du danger; car il s’était imprudemment ouvert auprès de cette femme de sa mission
envers des soldats allemands.
Par l’intermédiaire du fidèle radio, Passy est informé. Il donne l’ordre aux deux hommes de décrocher, de quitter la Bretagne.
André désobéit. Il ne se résout pas à abandonner les 17 résistants, jeunes hommes et jeunes gens qu’il a organisés, avec lesquels
il est désormais lié et dont il sait bien qu’ils étaient tous connus de la malheureuse logeuse.
Ils décident de fuir, tous, vers le Sud, l’Espagne. Ils déjouent les contrôles, multiplient les ruses, se fractionnent, se
regroupent et atteignent Bordeaux. Une ville regorgeant de policiers, de gestapistes et d’indicateurs, où ils entendent bien
ne pas s’attarder. Mais il faut poursuivre et se donner les moyens de tromper l’ennemi. A l’investigation d’André, ils forcent
le magasin des ateliers S.N.C.F; ils se munissent de vêtements de travail, de chaussures et d’outils d’ouvriers de la voie. Ils
atteignent ainsi Croix-d’Hins, en longeant les voies sur lesquelles ils paraissaient s’affairer. Puis rejoignent Dax et Bayonne
en train. De là ils voient la Rhune qui domine la frontière, et le massif des Trois-Couronnes, en Espagne.
Redoublant de prudence, à pied, sur la voie, outils à la main, par petits groupes, ils atteignent Hendaye. Et là, ils vont marquer
le pas, pendant trois jours, mangeant de fortune, dépensant leurs derniers sous, vivant de menue rapine. Leur embarras confine
à l’angoisse. Un homme qui les a observés et pressenti leurs desseins, leur indique un passage au-dessous du petit village de
Biriatou. Et, de nuit, au pied du col d’Ibardin, ils traversent la Bidassoa, petit fleuve-frontière. L’Espagne. Ils se prennent
à respirer. Ayant parcouru quelques kilomètres, ils ne sont ni surpris ni effrayés de se trouver en présence de militaires. Las!
en fait de Guardia civil, ce sont des soldats allemands. La nasse se referme; la tragédie se noue. Nous sommes le lundi 19
octobre 1942.
Pour André et ses 18 compagnons, les premières étapes du calvaire vont être la Villa Chagrin, prison de Bayonne où ils restent
cinq jours; puis, inexplicablement, le Fort de Saint-Jean-Pied-de-Port où ils vont demeurer 3 mois, cependant qu’y affluent chaque
jour des résistants arrêtés en tentant de franchir la frontière.
Transféré avec ses camarades au Fort du Hâ, à Bordeaux, André est tout de suite l’objet d’un traitement spécial et mis au secret,
en cellule. Très vite, il va être pris en mains par l’immonde trio de la section des Affaires Politiques: Poinsot, Evrard,
Célérier qui ne vont pas lâcher leur proie. Il est interrogé et torturé à 28 reprises dans les locaux de la rue Victoire
-Américaine. 28 interrogatoires dont 3 en présence du SS Dhose responsable de la Gestapo de Bordeaux qui est visiblement satisfait
des méthodes employées par les sbires français.
Il connaîtra aussi les interrogatoires au siège de la Gestapo, au Bouscat. Ces interrogatoires et les brutalités qui les accompagnent
tendent toujours à le faire parler sur les contacts qu’il a pris avec des soldats allemands. De ces séances, André a conservé
une déformation des ongles, siège privilégié des tortures et une voûte crânienne bosselée.
André ne parle pas; il exaspère ses bourreaux. Il avoue que ceux-ci, sans le savoir ont atteint l’extrême limite de sa résistance,
la ligne au-delà de laquelle on appelle la mort pour être sûr qu’aucun nom ne vous échappera.
Et ici vient en mémoire le quatrain de la «Ballade de celui qui chanta sous les supplices», d’Aragon:
« Rien qu’un mot; la porte cède, »
« S’ouvre et tu sors. Rien qu’un mot »
« Le bourreau se dépossède »
« Sésame, finis tes maux. »
De guerre lasse, les bourreaux pensent exercer une pression suffisante sur André en l’invitant à écrire à sa mère une lettre
lui annonçant sa prochaine exécution. Sans résultat.
Au sadisme, s’ajoute l’odieux de la tragi-comédie. Il est emmené au camp de Souge, dans un camion bâché, entouré de soldats en
armes, assis sur un cercueil qui doit être le sien. Il est attaché au poteau de supplices et, pendant onze heures, tous les
quarts d’heure, il est mis en joue et fusillé à blanc, pressé après chaque tir de livrer les noms des soldats allemands. Il va
ainsi voir trois pelotons d’exécution se relayer. André rapporte maintenant qu’il redoutait seulement l’impact des balles, mais
pas la mort qu’il tenait pour inéluctable.
Il est reconduit dans le secret de sa cellule. Un jour, il va entrevoir ses 18 camarades à la caserne Boudet, alors Conseil
de Guerre allemand.
Le surlendemain, c’est leur jugement, en trois sessions, le tribunal étant présidé par Von Faber du Faur, commandant du Gross
Bordeaux. La sentence est prononcée. Tous sont condamnés à mort. Mais, dans l’esprit des juges, André émerge de cette brochette;
car c’est lui seul que Von Faber invite à dire quelque chose, s’il le désire, avant de mourir.
Le dialogue est d’une saisissante brièveté. C’est André qui interroge son juge:
« Dans une Allemagne occupée qu’auriez-vous fait à ma place ? »
et Von Faber d’acquiescer:
« La même chose que vous. »
Le garçon de 18 ans ½ puisera intérieurement dans cette réponse la confirmation de la justesse de son engagement et un suprême
motif d’encouragement.