L’objectif est de déshumaniser, d’annihiler la personnalité des détenus, de réduire en eux toute velléité de résistance avant de
les détruire physiquement.
Mais, avant d’être mis à mort, puisque telle est la finalité du système, les déportés doivent dépenser toute leur force de travail
au service de l’économie nazie, particulièrement de l’industrie de guerre.
Et c’est là que les quatre jeunes vont être séparés. Alors que Guy Ducos est affecté au kommando usine d’aviation Heinkel, Roger
et les deux autres sont dirigés vers un kommando situé sur l’Oder: Küstrin.
Une gigantesque fabrique de pâte à papier et de dérivés de cellulose; une usine prison cernée de barbelés omniprésents. Le travail
y est harassant et meurtrier ; les coups pleuvent, et les ordres sont aboyés; la faim est lancinante et les nuits sans sommeil,
confisqué par les morsures de la vermine et de la gale; les appels, dans le froid, sont sadiquement prolongés. La seule grâce, à
Küstrin, c’est que les Français s’y trouvent en large majorité; un indéniable avantage dans le monde concentrationnaire où quelques
vingt nationalités de déportés cohabitent de façon, le plus souvent, brutale et déprimante.
Alors que l’on touche le fond de la misère et que l’espoir est contredit par la raison, Roger va être de ceux qui, affamés et
rendus, refusent la déshumanisation imposée, restent attachés aux règles de la dignité humaine et, par là même, décontenancent
leurs tortionnaires. Dans cet univers effrayant et absurde, des formes de solidarité vont se nouer, dérisoires mais précieuses, dont
Roger sera l’un des maillons.
Et, alors que la mort est promise à tous et qu’elle sera, hélas, le lot d’un trop grand nombre, la force de caractère, la certitude
d’avoir mené le bon combat, la conviction que la bête nazie va être écrasée parviennent à conjurer un funeste destin. Et puis, au
fil du temps, le sort des armes s’est résolument retourné. Depuis Stalingrad, l’orgueilleuse Wehrmacht n’a cessé de reculer, comme
elle a cédé sur tous les autres fronts.
Si bien que, devant la poussée de l’Armée rouge, les
ss décident d’évacuer les détenus de Küstrin vers l’ouest, le 29 janvier 1945; vers Buchenwald,
Flossenburg, Neuengamme, vers les affreux mouroirs de Bergen-Belsen et de Sandbostel, près de Hambourg, où va mourir, le 1er
mars 1945, André Moulinat qui, deux ans plus tôt, avec Guy Ducos, a quitté Castelnau de Médoc pour le chemin de l’engagement.
Roger est de ceux qui sont repliés sur le grand camp, à Sachsenhausen. Son moral est inaltéré; sa confiance en une prochaine
libération est totale. Cependant, la misère physiologique qui est la sienne, la dénutrition et les mauvais traitements qu’il a
endurés hypothèquent gravement ses chances de survie. Il est admis au Revier, l’infirmerie du camp où, malgré le manque de moyens,
les médecins et infirmiers détenus font des prodiges. Il va bénéficier des soins et de l’attention du chirurgien français Emile
Coudert qui jouit d’une notoriété exceptionnelle dans le camp, y compris auprès des
ss. Son état se consolide quelque peu, mais il reste consigné au Revier.
C’est le temps de la fin. Plus de 33.000 déportés de toutes les nations d’Europe sont entassés dans un indescriptible chaos
cependant que, chaque jour davantage, s’amplifie la canonnade des Soviétiques qui commencent à investir Berlin.
Le samedi 21 avril, le camp de Sachsenhausen est évacué par colonnes de 500 détenus. Débute alors une marche hallucinante en
direction de la Baltique qui va durer douze jours. Des spectres vivants, titubant de fatigue, serrés de prés par une chiourme
surexcitée. Un tiers de malheureux vont mourir d’épuisement ou d’une balle dans la nuque. André Castets, Guy Ducos, Jacques Dupuis,
présents à cette cérémonie, ont connu la marche de la mort. Dés notre départ, nos craintes sont des plus vives quant au sort des
3.000 malades et blessés restés dans les Reviers; craintes d’une destruction du camp par les
ss et d’une extermination au lance-flammes des survivants.
L’irruption au camp, dés le 22 avril, des avant-gardes soviétiques ne laisse pas aux
ss le temps de perpétrer leur forfait.
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