Mérignac.
Le départ du général de Gaulle.

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La décision bordelaise. - Michel BERGES - RU n°11 de mars 1990



S'il est certain que c'est l'envol de Mérignac, le 17 juin 1940 à 9 heures, qui a forgé le destin historique de Charles de Gaulle, la décision en question revêt, comme l'a montré Jean Lacouture, une certaine complexité. Derrière les témoignages et les documents disponibles sur ce point, on décèle des interrogations voire certaines zones d'ombres. Cet acte audacieux de rébellion, qui coûta beaucoup à son auteur, loin d'avoir été improvisé dans l'atmosphère du Bordeaux de la trahison, ne fut que la conséquence logique, intellectuelle et politique de l'analyse réfléchie par de Gaulle de la stratégie militaire du pays depuis les années 30, comme de l'enchaînement des circonstances depuis le commencement de la "drôle de guerre".

Même si l'enchaînement final s'est accompli à Bordeaux, dans la nuit du 16 au 17 juin, après la chute du gouvernement Paul Reynaud. On peut penser, à la lecture de l'ouvrage d'Henri Amouroux que le départ (qui allait devenir "historique" à posteriori) fut concerté avec Winston Churchill à Londres même, dans la journée du 16 juin, où de Gaulle se trouvait en mission.

L'appui de Georges Mandel.

Après avoir compris les contraintes et les faiblesses de Paul Reynaud, après s'être ouvert avant le 16 juin à quelques témoins d'une stratégie de départ et surtout de sa volonté inébranlable de continuer le combat, on sait qu'atteint par un découragement passager, de Gaulle, qui envisageait de démissionner de son poste de sous-secrétaire d'État à la guerre reçut le 13 juin un appui moral auprès de Georges Mandel, l'ancien député de la Gironde, Ministre de l'intérieur. Il en parle en ces termes dans les "Mémoires de Guerre":
Mandel me parla sur un ton de gravité et de résolution dont je fus impressionné. Il était, tout autant que moi, convaincu que l'indépendance et l'honneur de la France ne pouvaient être sauvegardés qu'en continuant la guerre. Mais c'est à cause de cette nécessité nationale qu'il me recommanda de rester encore au poste où je me trouvais (...). Puis, évoquant l'avenir, il ajouta: "De toute façon, nous ne sommes qu'au début de la guerre mondiale. Vous aurez de grands devoirs à remplir, Général! Mais avec l'avantage d'être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu'à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses." Je dois dire que cet argument me convainquit d'attendre avant de me démettre. C'est à cela qu'a peut-être tenu, physiquement parlant, ce que j'ai pu faire par la suite".

Selon le témoignage intéressé du général anglais Spears, on devine, malgré la volonté affirmée par de Gaulle de se rendre à Londres, ses appréhensions personnelles lors de la soirée bordelaise du 16 juin, notamment en ce qui concerne son éventuelle arrestation par Weygand. On connaît aussi les fantaisies de certains témoignages au sujet de l'interprétation de son envol de Mérignac en terme "d'enlèvement" ou de "dissimulation" aux observateurs pétainistes venus s'assurer d'un exil salutaire (Ménétrel, éminence grise de Pétain, en l'occurrence).


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