Biographie. Résistants honorés. |
Tisney Claude | Retour |
MON REFRACTARIAT
J'ai lu dans le journal Rhin et Danube ce texte: |
Né le 6 Juin 1992, à Biarritz, j'ai 18 ans au moment de la débâcle de nos Armées en 1940.
Etudiant à l'Ecole Nationale des Industries Laitières d'Aurillac (Cantal), je dois passer mes examens de fin d'Etudes
en Juillet. Mais j'apprends par un groupe de Scouts de passage à Aurillac qu'un embarquement est prévu pour les troupes
polonaises, sur la Côte Basque le 19 Juin. J'ai pleuré en écoutant la radio, l'annonce du "cessez le feu" par le Maréchal
Pétain. Ma décision est prise.
Je pars donc, dans le train bondé, pour Toulouse, avec correspondance possible à St-Jean de Luz. Retardé en gare de
Tarbes par un accident, J'arrive deux heures trop tard. Les bateaux étaient en mer. Je rentre à Aurillac et passe
mes examens.
En Août 1940, vers le 8, (avec un camarade Belge), résidant moi-même pas trop loin de Tarbes, je tente à nouveau de
partir par l'Espagne en passant simplement par la gare internationale de Canfranc (64).
Hélas! alors que nous foulions déjà le sol espagnol, repérés par, les "Guardias Civiles", nous repartons pour Pau,
menottes aux poignets, encadrés par deux gendarmes français. Une nuit à la prison. Un directeur bienvei11ant, qui, le
lendemain, nous fait libérer en nous disant: "surtout ne vous faites pas reprendre". La leçon ne sera pas perdue.
Ensuite, c'est le cursus normal en zone dite libre: Chantiers de Jeunesse à St-Bertrand de Comminges (31), puis réquisition
par le Service du Travail obligatoire en Allemagne. Nous sommes en Juin 1943.
Mais depuis ma libération des Chantiers, le 28 Février 43, j'appartiens à un Groupe de renseignements de l'Armée Secrète,
animé à Tarbes (65) par le père Félix Etchepare, supérieur de l'Orphelinat St-Joseph où j'avais été accueilli en 1932,
après la mort de mon père (des suites de la Guerre 14/18, sans pension). Ma mère n'avait donc pas le choix. Elle était
veuve avec 6 garçons: l'aîné 15 ans, le dernier 1 an. - J'en avais 10. - Il n'existait pas d'allocations familiales.
Le père Etchepare m'avait donc recruté. Après ma convocation au STO, il m'avait placé comme surveillant des orphelins
à la Maison de Vacances d'Orleix, au début de Juillet 43, avec la complicité du secrétaire de Mairie.
Avec deux autres camarades, nous formions une troïka: notre m1ssion consistait à vérifier que les caches d'armes des
gradés de l'Armée, en été 19401, n'avaient pas été découvertes par des miliciens ou certaines gendarmeries.
Au départ, ces emplacements avaient été reportés sur des cartes d'Etat Major, mais un officier pétainiste s'était emparé
de certaines et les avait communiquées à Vichy.
Au cours de ces localisations, notre trio en pleine nuit avait été interpellé par des gendarmes en embuscade et l'un
de nous (Lucien), blessé aux jambes, avait été capturé et transporté à la prison de Tarbes.
Or, le père Etchepare était aussi aumônier de la prison, située dans la même rue que l'orphelinat (rue Eugène Tenot).
Renseigné sur l'affaire, le lendemain matin, il s'est rendu à l'infirmerie de la prison. Notre camarade (Lucien) lui
indiqua qu'il n'avait pas parlé. Par prudence, le père nous donna à choisir: le maquis dans la montagne ou l'Espagne.
La filière d'évasion passait par l'abbaye de Belloc non loin de Cambo et le père était un ancien de celle-ci.
Muni d'une fausse carte d'identité, car le train passait par la ligne d'interdiction, (je fus d'ailleurs contrôlé à
son passage par des inspecteurs allemands), je descendis à la gare d'Urt (64) et sous une chaleur accablante, le 7
Septembre 1943, je fis à pied les 10 Km. environ qui me séparaient de l'abbaye bénédictine de Belloc (près de
Labastide-Clairance).
En route, je croisais deux gendarmes allemands en moto, ma valise à la main. Je m'efforçais de ne pas montrer ma peur.
Tout se passa bien. J'arrivais à l'abbaye, bien accueilli par les moines qui me débarrassèrent de ma valise, me fabriquèrent
un sac à dos avec une toile de matelas et des sangles.
Ils m'offrirent une collation et m'indiquèrent un chemin de crêtes pour arriver à Hasparren où demeurait le chef des
passeurs, à environ 5 Km. Et me donnèrent le mot de passe. Ainsi fut fait.
Le hasard voulut que ce chef, un nommé Idiart, fut aussi un ancien (mais plus âgé que moi) de l'orphelinat. Il me reconnut
donc et obtint des passeurs qu'ils ne me demandent que 3000 Frs. (de l'époque) au lieu de 5000.
Le 8 Septembre, je fus emmené dans l'arrière boutique d'un boulanger où je trouvais une quinzaine de candidats au
franchissement des Pyrénées. Le soir même, la nuit tombée, deux passeurs basques vinrent nous chercher.
A leur suite, par des sentiers, nous avons cheminé en silence, contournant la ville de Cambo, tous feux éteints. Les
endroits dangereux étaient le passage des routes goudronnées. Mais les passeurs veillaient. -Nous avons côtoyé une
rivière (la Nive, je crois) que nous avons franchie à un gué, près d'Itxassou (64).
A partir de là, ça montait. Dans la nuit, nous avons atteint un sommet, avons descendu une pente, le long d'un ruisselet
jusqu'au moment où les passeurs nous ont dit devant un rio desséché: Voici la frontière.
Les passeurs nous disent avant de nous quitter: « à cet endroit, vers midi, les garde frontières allemands ont
arrêté un groupe de Scouts de votre importance. " Quelle coïncidence! ".
Encore un moment de marche en terrain espagnol. Nous atteignons une bergerie vide, très basse en ardoises empilées les
unes sur les autres. Nous coupons de grandes fougères et passons une nuit merveilleuse.
Le lendemain, le 9 Septembre, après nous être lavés, nous dévalons la pente en suivant un ruisseau. Arrêtés au village
d'Arizcun nous passons la nuit dans un cachot local. Au matin du 10, les gardes civils nous embarquent dans un autocar.
A Elizondo, d'autres évadés nous rejoignent et dans l'après-midi nous arrivons à Pamplona (Pampelune). Après interrogatoire,
nous voici hébergés à la Carcel Modelo (prison modèle) pleine de poux et de punaises. Certaines nuits nous sommes 10
ou 11 dans une cellule de 2...
Au bout de 5 semaines, la plupart d'entre nous quittons la prison.
Par le train, enchaînés 2 à 2 nous sommes transportés au campo de concentration de Miranda de Ebro où nous nous comptons
5000 environ. Enfin , le 23 Décembre 43, échangés contre 100 Kgs. de farine ou 100 litres d'essence ou 200 Kgs de
phosphates marocains, un contingent, dont je suis, de 1500 hommes environ, est conduit par un train brinquebalant, via
Madrid à Malaga.
Logés dans les étables des arènes sur de la paille, mais bien (trop bien) nourris par la Croix Rouge espagnole nous
attendons l'accostage de 2 cargos français (le Gouverneur Général Lépine et le Sidi Brahim) vieux rafiot de 14/18 qui
nous transportent à Casablanca sous la protection en haute Mer de 2 destroyers de la France Libre et d'un contre-torpilleur
anglais.
A Casa, le 31 Décembre: accueil par une fanfare d'un régiment de tirailleurs sénégalais, un buffet servi par les dames
de la Croix Rouge (très gentilles).
Pendant 8 jours au Camp de Médiouna (visites médicales, épouillages, interrogatoires et incorporation.)
Le 1er de l'An 1944,je suis affecté au 31° Bataillon de Génie à Port Lyautey où je fais mes classes.
Le 1er Avril, volontaire, je pars en renfort au 88° Bataillon de Génie, 4° Compagnie en Algérie à Ain-Tedelès.
Au mois d'Août 1944, débarquement sur le côtes de Provence à Saint Tropez (1ère Division Blindée).
Libérations de Toulon, Marseille, remontée du Rhône, Bataille d'Alsace, Entrée en Allemagne et Victoire du 8 Mai 1945
par la capitulation totale de l'Armée Allemande.
Mais nous sommes déjà dans l'histoire générale.
La France est libérée.
Bordeaux, le 11 Janvier 2001