Biographie. Résistants honorés. |
Grebol Jacques |
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Poèmes et chansons. |
Entretien du vendredi 2 mai 2003.
Je m’appelle Jacques Grébol. Le témoignage
qui m’est demandé me ramène à ma jeunesse; 1939, la guerre que nous attendions depuis de nombreuses années, la guerre
que nous ne pouvions éviter à cause des lâchetés et des dérobades des gouvernements européens déstabilisés par un Hitler
retors, brutal et résolu. Le jeune homme que j’étais restait à l’écoute du monde extérieur et demeurait en éveil. Tout
nous conduisait à une catastrophe programmée. Depuis juillet 1936, l’Espagne fournissait le creuset où l’armée nazie
pouvait enfin tester ses hommes et ses armes. Le laboratoire est ouvert. L’aviation hitlérienne brûle d’essayer ses
possibilités. Le 26 avril 1937, accompagnés de leurs alliés italiens, deux Heinkel 111 et 18 Junker 52 bombardent la
ville de Guernica dont les bâtiments seront incendiés à 70%. Picasso immortalisera l’horreur de cet acte, prémisse
du déchaînement de haine et de terreur qui allait bientôt s’abattre sur l’Europe. Qu’allait il advenir? Une chose
était sûre; je n’accepterais jamais le joug de cette barbarie.
Donc, il faut penser que, dés que la France a été occupée, déjà, çà était un pillage systématique; rationnement sévère,
mise en place de tout un système de carte avec des tickets accordant des rations qui étaient l’équivalent à peu près
de la moitié de ce qui était nécessaire pour vivre normalement. Toutes les libertés, politiques, syndicales, individuelles
sont supprimées. Le couvre-feu est appliqué. Le département est scindé en deux par une ligne de démarcation. L’état
français, sous l’autorité de Vichy, favorise la naissance de mouvements nouveaux qui, sous prétexte d’une Europe unie
collaborent étroitement avec l’occupant; ce sont les collabos. A Bordeaux nous avions certaines formations qui étaient
le parti populaire français, le Rassemblement national populaire et puis, à partir de 1943, la Milice, qui était une
émanation de la Légion des combattants, qui deviendra par la suite le Service d’Ordre des légionnaires avant de donner
naissance à la Milice. Ce groupement armé par les Allemands, sous la conduite du colonel Robert Franc, secondera
efficacement l’occupant dans la poursuite des communistes, des francs-maçons, des juifs et des résistants. Ils se
distinguent aux côtés des Allemands dans les combats de Listrac en Gironde, de la ferme de Richemont, de Sainte-Foy-la-Grande,
dans l’attaque des maquis du Médoc et de Lorette.
En 1941, avec l’accord de Vichy, création de la légion des volontaires français (L.V.F.) qui deviendra la légion
tricolore; elle combattra aux côtés des Allemands, sous l’uniforme allemand sur le front de Russie (croisade contre
le bolchevisme).
1940, la France est occupée. Elle est divisée en différentes zones; "libre", "occupée" et "interdites". Ces lignes
de dépeçage sont autant de lieux de contrôle qui surveillent les mouvements de la population.
Par toutes ces nouvelles structures, ces restrictions, ces risques, ces peurs, ces délations, et c’est ainsi que
j’ai vécu jusqu’en février 1943, date à laquelle j’ai été requis, par les occupants, pour travailler à la base
sous-marine de Bacalan.
De par ce que je vous ai déjà dit précédemment disons que, pour moi, la question ne s’est pas posée.
Ce fut systématiquement en moi un rejet viscéral. Aucune question d’ordre philosophique, politique ou religieuse. Je rejetais cela, je ne voulais pas travailler pour l’Allemand. Et j’avais bien dit à mes parents à deux occasions que j’aurais pu quitter le pays. Je leur avais bien dit que le jour que je serais obligé de partir sera le jour que je déciderais et c’est ainsi que, mi février j’ai dû quitter la famille et je suis parti un matin sur ma bicyclette. J’ai franchis la ligne de démarcation au risque de me faire tirer comme un lapin. Une connaissance m’avait donné les coordonnées d’une personne qui était dans le Cantal et à qui j’avais été recommandé. Quand je suis arrivé, l’accueil de cette personne a été des plus bref. Je me suis présenté « Jacques Grébol » il me dit « Je sais. C’est de la part de madame unetelle, foutez le camp on est surveillé. » C’est le seul contact que j’ai eu avec le maquis, et, là, ont recommencé mes pérégrinations. Songez que tous les mois on devait renouveler les titres d’alimentation; chose que j’ai faite à Toulouse. Je me suis présenté au centre de distribution où ils vous découpaient un ticket sur le carnet d’alimentation et avec çà ils vous donnaient les titres d’alimentation pour le pain, la viande etc… car tout était contingenté. Et la personne qui me l’a donné a bien vu que je n’étais pas en règle, vu que j’étais de Bordeaux, que j’avais pas un permis pour passer la ligne. Mais elle m’a remis quand même les titres et en me les remettant elle m’a dit entre les dents " Partez vite et bonne chance. » Déjà, rien que pour çà, voyez, cette personne elle était passible, en tant que déportée d’aller au camp de Ravensbrück. Vous voyez les risques qui étaient encourus. Donc je suis retourné dans les Landes où je cherchais toujours à rentrer en contact avec des maquis. Je n’ai pas pu en trouver. En ce temps là, si on n’était pas parrainé par quelqu’un qui en était déjà, les chances de contact étaient quasiment nulles. Le maquis ne prenait jamais assez de précautions. Ceci n’a pas empêché quand même que les autorités allemandes ont réussi par l’intermédiaire de quelques Français a infiltrer ces maquis et à faire des dégâts terribles parmi eux. En fin de compte, j’arrivais quand même à Pau où le hasard a voulu que je trouve quelqu’un qui m’a hébergé pendant une douzaine de jours. Là, à Pau, je suis tombé sur deux Français qui se disaient agents d’une filière d’évasion par l’Espagne. Ils m’ont fait des faux papiers où j’étais porté deux ans plus jeune, donc je n’étais plus susceptible d’être réquisitionné pour le Service du Travail Obligatoire, des faux papiers qui disaient que j’étais interne dans un établissement scolaire, des faux papiers émanant du directeur (avec un point d’interrogation) disant qu’il m’accordait trois jours de congé pour aller voir, à la suite d’un faux télégramme, aussi, une tante gravement malade dans un établissement médical à Cambo les-Bains, et, avec çà ils m’ont fait une fausse carte d’identité en même temps, pour laquelle ils m’ont demandé deux photos , Le tout m’a coûté à l’époque, en mars 1943, 3.000 francs. Ceci représentait, à peu près, le salaire de deux mois de travail. Avec ces faux papiers, j’ai été à la kommandantur pour obtenir un ausweis, c’est à dire un laissez-passer, Car Cambo était en zone interdite. Et là, le guide à Cambo devait me prendre en charge. On devait se reconnaître par un même livre qu’on avait acheté l’un et l’autre. Donc, à l’heure dite et au jour dit j’ai pris le train. Dans le train il y a eu le service de sécurité allemand qui est passé et qui demandait les papiers. Moi, en toute tranquillité, avec ma fausse carte d’identité, le télégramme, et tous les documents en ma possession, j’ai tout remis en toute confiance. Tout compte fait ces deux Français c’étaient deux Français qui, se faisant passer pour des agents d’une filière d’évasion, n’étaient, en fait, que des individus qui s’étaient mis au service de la Gestapo. Ceci se confirmait par le fait que l’Allemand qui m’avait contrôlé était en possession de la deuxième photo fournies par mes soins. Débuta un interrogatoire qui a été sans trop de dommage, à part une grande claque sur la figure quand on m’a demandé par quels moyens j’allais à Cambo. Et c’est moi qui retournais la question « Pouvez-vous me dire le nom de ces deux Français qui se disant agent d’une filière m’ont livré à vous. » C’est ce qui m’a valu de prendre une claque., Puis, j’ai été interné à la citadelle de Saint-Jean-Pied de Port, le 29 mars et j’en suis reparti le 3 avril 1943, dans la journée, pour la caserne Boudet de triste mémoire, car c’est là que, sans toutefois être aussi pénible que ce qui nous attendait, nous avons commencé notre apprentissage de détenu, avec la faim et les coups.Oranienbourg est un camp de concentration
disons un peu spécial où il y a eu plus de 200.000 détenus dont plus de la moitié sont morts, hélas. Ce camp là,
disons, était le centre névralgique de l’univers concentrationnaire nazi. C’était là qu’étaient instaurées toutes les
règles de vie de cet univers là. C’était de là que partaient tous les ordres vers les autres camps de concentration
et c’est là que, une fois par mois, se réunissaient tous les commandants des grands camps pour faire entre eux une
mise au point. Dans ce camp, j’y suis resté du dix mai 43 jusqu’au 26 mai 43. Dans une baraque fermée de barbelés
autour. On ne sortait pas dans ce grand camp. On était là enfermés, nous étions en quarantaine. Notre temps se passait
à dépiauter des gaines de fils pour récupérer le cuivre. Nous étions dans un baraquement qui était
divisé en deux ailes avec un local sanitaire très insuffisant et sous la férule d’un détenu responsable du block, le
chef de baraque. Et là, nous avons appris, si l’on peut dire, les commandements nécessaires et les différentes
interpellations en allemand auxquelles il faudrait répondre sous peine de sanctions sévères. Je vous ai parlé de
l’organisation d’un camp de concentration, disons qu’il y a deux structures; une structure externe avec les casernes
et toutes les dépendances militaires, les centres de commandement, les villas des grosses huiles de la S.S; eux, ils
sont à l’extérieur du camp. Il est entouré de deux barrières de barbelés espacées, à peu près de trois à quatre mètres,
qui doivent faire 2,50 m à 3 m de haut. Elles sont électrifiées et il y a entre ces deux barrières des miradors dans
lesquels sont postées des sentinelles avec des projecteurs et des mitrailleuses. Dans ce camp, pour le faire marcher,
les S.S, et c’est là que l’on voit un peu à quel point ils étaient machiavéliques avaient instauré toute une structure
qui était chargée de faire marcher le camp et qui était faite
avec des détenus de droit commun. N’oublions pas que les camps de concentration ont été ouvert en 1933, les premiers,
dont celui d’Oranienburg - Sachsenhausen et celui de Dachau. Les premiers occupants de ces camps ce furent tous les
opposants allemands au régime hitlérien; les communistes, les sociaux démocrates, ceux qui, pour des raisons religieuses,
les Témoins de Jéhovah, par exemple, refusaient de prendre les armes et, en même temps, ils en ont profité pour vider
toutes les prisons allemandes de tous les droits communs, des assassins, des criminels, des hors la loi.., Et à ces
gens là, ils leur ont donné des fonctions; c’était la structure interne du camp qui faisait marcher l’intendance, qui
faisait marcher le secrétariat, qui faisait marcher l’infirmerie, infirmerie entre guillemets parce que, si l’on peut
appeler çà une infirmerie, disons que c’était l’antichambre du crématoire. Inutile de vous dire que ces fonctions
qu’ils occupaient étaient assorties de privilèges, autrement dit, ces gens là ne travaillaient pas, étaient mieux
habillés, mieux nourris, mieux chaussés que nous et, par contre, sous le contrôle des S.S, il fallait qu’ils remplissent
leurs fonctions; n’oublions pas que nous étions là, dans ces camps, pour une fin programmée. Donc, leur boulot c’était
de détruire.
Nous sommes arrivés dans ce camp, donc, le 10 mai 1943, Comme dans tous les camps, en pleine nuit, le débarquement
sur la quai, les projecteurs, les chiens, les S.S qui aboient des ordres; on nous jette en bas du wagon, les personnes
âgées qui se cassent la figure, si elles ont une fracture, et bien, on les embarque dans un camion, on verra ce que
l’on en fera plus tard. Et on traverse la ville. C’est la nuit. Nous n’avons pas eu à faire à la population qui dormait.
Mais nous sommes arrivés dans ce camp. Bien sûr, on nous a dépouillé de tout ce que nous avions. On est rentré
dans une baraque où, excusez moi l’expression, on nous a mis à poil et quand on en est sorti à l’autre bout, nous
étions sans poil. On était passé à la tondeuse des chevilles à la tête. Nous avons été trempés en totalité dans un
bain de désinfectant qui piquait. Quelqu’un était là, un détenu, qui nous appuyait sur la tête pour immerger la tête
dedans. Et ensuite, dans le petit matin, malgré que ce soit le mois de mai, là-bas, dans le Brandebourg, pas loin
de la Baltique, il ne fait pas des plus chaud. On attendait la douche. On l’attendait d‘autant plus impatiemment que
le bain précédent provoquait sur nous, partout, des picotements qui devenaient insupportables. Cette douche a été
rapide. On entrait par des fournées de 20 ou 30, je ne sais plus combien. La douche tombait, parfois il y avait des
tuyaux qui balançaient des jets d’eau, tantôt chaud tantôt froid suivant la fantaisie de celui qui tenait les manettes.
En cinq minutes tout était fait. On est sorti au bout, bien sûr pas de savon, pas de serviette, rien. On s’est séché
en plein air. Et puis, après, on nous a donné nos défroques; un caleçon, une chemise, un veston et un pantalon en
fibranne. Et c’est avec çà que pendant plus de deux ans on allait supporter les rigueurs de l’hiver. Après cette
quarantaine, j’ai été expédié au commando de Kustrin aux confluent de la Wartz et de l’Oder, c’était un complexe
cellulosique aux bords de la Wartz, à la frontière actuelle polonaise, à peu prés 80 kms de la Baltique. Pendant un
an et demi on a fait du terrassement, on a fait l’extension de l’usine et quand le froid était trop prononcé, que l’on
ne pouvait plus bétonner il fallait qu’on aille au tas de planches de coffrage, les nettoyer, les gratter, redresser
les clous car là-bas aussi, en Allemagne, il y avait des pénuries quand même. Ou bien, alors, on allait au parc à
bois, vu que c’était une industrie cellulosique, qui employait, entre parenthèse, 10.000 personnes. Il y avait une
voie ferrée qui arrivait, il y avait des convois qui arrivaient avec des agrumes. Il fallait qu’on les décharge,
qu’on les mette en tas et, quand il faisait trop froid pour faire du béton et bien on nous mettait à çà. Et, j’ai vu,
avec le peu de vêtements que nous avions dessus, des galoches en bois au dessus en toile, j’ai vu la Wartz complètement
gelée. Je ne sais combien il faisait de température mais la Wartz était gelée en totalité. A croire, que l’homme est
une des espèces les plus résistantes, car là où nous sommes passés beaucoup de bêtes auraient crevées. Sur le plan
nourriture, c’était, le matin, un bol de jus. On ne sait pas avec quoi c’était fait. Cà avait un avantage, c’était
chaud. Ensuite, le midi on avait une gamelle de soupe, soupe entre guillemets, des tubercules fourragères, des
carottes à vache, des betteraves fourragères coupées en petits cubes, bouillies dans de l’eau. On en avait une louche
d’un litre à peu près. Le soir, quand on rentrait, on avait une boule de pain qui était partagée, je ne me souviens
plus si c’était en cinq ou en sept. Je ne voudrais pas dire de bêtise, là, je ne peux pas préciser. C’était un pain
quand même dont la mie était visqueuse une mie marron, beige marron, mais c’était du pain. Avec çà, on avait une
petite rondelle de saucisson ou un doigt de margarine, parfois une cuillerée de compote. Et c’était tout pour 24 heures,
cette nourriture. Pour des hommes qui, par n’importe quel temps, du soleil levé au soleil couché, travaillaient par
n’importe quelle température. Inutile de vous dire, qu’à ce régime là, l’organisme en a pris un coup rapidement.
Cependant, dans ce petit kommando nous avions la chance d’être 300 détenus et nous étions 270 français, ce qui était
énorme. Parce que dans les grands camps il y a eu jusqu’à 22 nationalités. Nous avons donc eu cette chance d’arriver
à instaurer entre nous des solidarités, je dirais. C’est ce qui nous a aidé à surmonter des épreuves. Des solidarités,
exemple, quand on avait distribué la soupe ceux qui avaient de gros problèmes de santé, qu’on voyait qu’ils tombaient
rapidement, avant de donner le rabiot qui restait au fond du bouteillon, on leur donnait une ration supplémentaire à
ceux là. Ceux qui était astreint, ce fut mon cas, de travailler dans un kommando disciplinaire, j’avais été condamné
suite à une tentative de faire partir une lettre en fraude, trois mois de kommando disciplinaire On m’avait mis devant
une broyeuse où je devais faire passer par jour 100 mètres cubes de bois, dans la journée. Inutile de vous dire, qu’à
ce régime on déglinguait vite. Heureusement, que, quand cela m’est arrivé, les Alliés avaient fait la percée d’Aix-la-Chapelle
et que les couteaux qui équipaient cette broyeuse arrivaient de Solingen. Et sur ces trois broyeuses qu’il y avait
dans ce local, une est tombée en panne, et puis deux, si bien que, au lieu de se retrouver un devant chaque broyeuse,
nous nous sommes retrouvés trois devant une seule broyeuse. A ce moment là çà devenait possible. Et, le temps à peu
près une dizaine de jours que j’étais seul, tous les jours j’avais ma ration supplémentaire de soupe, le midi. C’était
une solidarité. Nous nous étions réunis aussi par groupe. Dans mon groupe nous étions quatre camarades, et comme j’ai
passé quand même plus de deux ans là dedans, pendant un temps on a eu la chance d’envoyer des lettres où il y avait
écrit en allemand que la famille pouvait envoyer autant de colis qu’elle le voulait. Ma mère m’en a envoyés en se
privant bien la pauvre femme. Et en 26 mois je n’en ai reçu quand même que trois. Autrement dit j’en ai reçu un sur
dix c’est tout. Donc ces colis, on s’était mis à quatre pour les partager. Mais quand on nous remettait le colis,
qui arrivait des fois plus ou moins détérioré sous prétexte de bombardements ou tout simplement de pillage, il fallait
qu’on remette quelque chose pour la solidarité. Alors on prélevait quelque chose sur ce colis et, quand il y en avait
suffisamment le midi, au lieu d’avoir cette vulgaire soupe de plantes fourragères avec de l’eau, et bien, on faisait
la soupe des colis. Et c’était quelque chose d’important. Donc, c’était une seconde solidarité. Et puis ensuite, il
y a eu, ce que j’appellerais la solidarité des mains vides. Un copain qui était dans le creux de la vague, on essayait
à lui remonter le moral La solidarité des gens d’opinions tout à fait différentes. Exemple, ce moine qui assistait
un mourant dans ces derniers instants, et bien, pendant ce temps il y avait un communiste, à la porte du block qui
faisait le guet. Car s’il s’était fait attraper en train d’assister de ses prières un mourant le moine était bon pour
25 coups de nerf de bœuf sur le derrière. C’est pour vous dire que la solidarité s’est exercée de mille et mille
formes. Sur le chantier, on étaient harassés, vidés, et bien quand il y en avait un qui n’en pouvait plus, pour lui
éviter des représailles, c’étaient ses copains, à côté de lui, qui essayaient, en plus de leur charge, s’ils en avaient
encore la ressource, de faire au moins une partie de sa part à lui. Ce n’est pas une solidarité avec un grand « S »,
collective, non, ce sont des solidarités qui nous ont permis de surmonter ces épreuves. Il faut vous dire, que, pour
surmonter ces épreuves, il fallait avoir la rage de vivre. Il fallait être motivé. Celui qui n’avait pas de motivation
il ne tenait pas le coup. Il fallait aussi être vigilant. Cette solidarité n’a pu s’exercer que dans la tolérance;
accepter l’autre tel qu’il était, dans la générosité, même si l’on n’avait rien Quand on a un mauvais moment, une
tape dans le dos, un sourire. Ca aide. Et çà aide d’autant plus qu’on a personne après qui se raccrocher. Cette solidarité
s’est exercée, je vous en donnerai un exemple tout à l’heure dans les « marches de la mort ». C’est ainsi que, tenant
compte, de tous ces paramètres que je vous ai donné, tous ceux qui possédaient ces vertus là, çà ne veux pas dire
qu’ils étaient sauvés car entrait en jeu, et dans une grande proportion, tout simplement le facteur chance.
Je vais vous donner un exemple de la duplicité de l’Allemand, çà m’est arrivé à Buchenwald, car pendant ma déportation
j’ai fait trois camps Sachsenhausen, Buchenwald et Flossenbürg. C’était au mois de mars, les S.S passaient le matin
pour relever l’effectif; le mort de la nuit devait être présent à l’appel du matin. Et c’était à ses camarades de
châlit de le prendre chacun un bras autour de l’épaule et de le présenter à l‘appel qui pouvait durer une heure sous
la pluie ou le froid. A la fin de l’appel, on laissait le mort sur place et un kommando était chargé de faire les
allées du camp afin de récupérer les cadavres et les amener au crématoire.
Nous avions trouver une astuce pour nous protéger du froid. On attrapait les sacs de ciment, on les ouvrait sur un côté, on enlevait (c’était en trois ou quatre épaisseur de papier kraft) on enlevait la couche intérieure qui était imprégnée
de ciment on l’ouvrait devant on se faisait un passage pour la tête et un pour les bras. On se faisait une espèce de gilet mais fallait pas se faire attraper. On cachait çà sous la chemise, à même la peau. On se le mettait pour se protéger du froid. Mais si on se faisait attraper on avait droit à des coups de bottes et à des coups de poings. Donc, l’hygiène était nulle, les soins étaient nuls, l’infirmerie n’en parlons pas, c’était l’antichambre de la mort. Donc les épidémies couraient. Avec la vermine, les poux, les punaises. Le typhus a fait des ravages, la dysenterie, car il faut vous dire qu’en fait d’hygiène nous avions, dans ce petit camp de 300, des latrines. C’est à dire une poutre sur laquelle on s’asseyait, une autre derrière le dos pour s’adosser et en dessous il y avait des bidons. Quand ils étaient pleins c’était la corvée de la merde, disons le carrément, il fallait aller les vider. On allait enterrer çà. Et c’est là, ceux qui étaient atteint de dysenterie, maladie contagieuse, oh combien !, on les a vu se vider de leur sang. Le travail, les brutalités, on essayait, disons … on était traités comme moins que rien.. d’ailleurs, l’Allemand quand il passait pour demander l’effectif, j’en reviens à tout à l’heure, il ne disait pas combien d’hommes il demandait au droit commun, qui était détenu, une brute en général, il lui demandait « Wieviel stück », en bon français cela veut dire « combien de morceaux ? » Nous n’étions même pas considéré comme des êtres vivants Nous étions un stück, identifié sous un numéro matricule, qu’on devait utiliser jusqu’à rupture et, ensuite on faisait partie des déchets industriels que l’on devait éliminer par le crématoire.Nous avons traîné ainsi à Buchenwald où j’étais arrivé le 3 février 1945 jusqu’au 8 avril 1945.
Là, les Américains approchaient et les Allemands nous ont évacués, à nouveau. En ce qui me concerne je faisais partie d’un groupe qui a été embarqué dans des wagons minéraliers, c’était un petit wagon de charbon Belge, nous étions 80 dedans. On nous a donné un morceau de pain avec un bout de saucisson, je suppose, je ne m’en rappelle plus exactement. On nous a entassé à 80 dans ces petits wagons minéraliers. On nous a mis une tinette au milieu, bien sûr et nous sommes restés là 5 jours. Ce wagon là était à hauteur de 1,70 mètre, à peu près. Nous n’étions pas couverts, bien sûr. La nuit, on crevait de froid. On a pas eu à manger pendant ces 5 jours. On a pas eu à boire. Il est arrivé que le convoi s’est arrêté et qu’une âme charitable nous est portée de l’eau. Alors, on tendait une boîte pour la remplir d’eau. Mais quand elle arrivait entre les mains des déportés, elle était tellement disputée que personne n’en profitait. C’est là que j’ai vu, dans mon wagon, des détenus boire leur urine tellement la soif devenait insupportable.L'univers concentrationnaire nazi, était un univers qui était fait pour détruire.
N’oublions pas qu’il y a eu dix millions de morts, femmes et enfants compris. Cet univers là était constitué de manière à détruire progressivement l’individu, à le déshumaniser, avant qu’il soit détruit physiquement. Nous étions là pour une mort programmée. On travaillait pour le compte des S.S, pour des usines à eux, d’armement, pour des carrières, des travaux pénibles et dangereux. Et ceux qui n’étaient pas employés dans des exploitations S.S étaient loués à des entreprises. Ils étaient loués tant par personne, par jour. Il y avait deux ou trois tarifs en fonction de la qualification de l’individu. Il y en a même qui ont été loués à des laboratoires pharmaceutiques pour faire des recherches sur eux et pour essayer des médicaments sur eux. En principe, dans cet univers, ils avaient calculé, compte tenu du régime qui nous était imposé, la durée moyenne de vie devait être de six, huit, neuf mois. Alors quand je vous dis que j’ai fait plus de deux ans… Ne me demandez pas comment j’ai fait, je ne sais pas.